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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°13 - Octobre 2002 > Toulouse : AZF... un an après

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Toulouse : AZF... un an après



L’usine AZF appartient à la multinationale Total-Fina-Elf. Elle se trouve, avec d’autres usines, au sein du " pôle chimique " en plein c¦ur de Toulouse. Il y a un an, ce sont entre 45 et 120 tonnes d’ammonitrate en vrac qui auraient explosé, soit l’équivalant de 15 à 40 tonnes de T.N.T.(1) Ces chiffres sont des chiffres officiels et nous pouvons constater à quel point ils sont imprécis. A proximité immédiate d’autres produits explosifs et/ou toxiques étaient stockés : 1000 tonnes de nitrates industriels, 4000 tonnes de nitrates agricoles, des centaines de tonnes de chlore, d’ammoniac, de méthanol, d’acide nitrique, 72,9 tonnes de phosgène et 116 tonnes de produits dérivés, 50 000 tonnes de nitrocellulose auxquels nous devons ajouter tout le reste dont nous n’avons pas connaissance. Notons par exemple que 4 wagons de chlore et les 20 wagons d’ammoniac de 56 tonnes chacun étaient " stockés " dans la zone sud de l’usine, mais sur les rails de la SNCF afin de détourner la législation.

L’explosion a été terrible et meurtrière mais beaucoup de Toulousains sont persuadés que le pire a été évité de peu : la destruction de la Société Nationale des Poudres et Explosifs. La S.N.P.E. se vante d’avoir eu un outil industriel qui a tenu le choc et un système de sécurité qui a fonctionné. Cela semble vrai, mais c’est uniquement grâce à la chance ou au hasard, car le premier confinement qui protège du gaz phosgène a volé en éclats. Que serait-il arrivé si l’explosion avait été légèrement plus forte ? Y aurait-il eu des fuites de ce gaz particulièrement mortel ? Y aurait-il eu des milliers de morts ?

Une population sacrifiée

Quatre jours après l’explosion, une délégation du " Collectif Plus Jamais ça, Ni Ici Ni Ailleurs " a forcé la porte de la cellule de crise de la Préfecture. A la question « Que faire face au risque de sur-accident ? », les autorités ont répondu que l’évacuation n’était pas d’actualité et que le confinement était la seule solution envisagée malgré les milliers de sans-fenêtre... que nous pouvions toujours nous protéger dans des endroits clos, dans les toilettes ou dans les caves... Et le chef de cabinet du préfet de rajouter : « Lorsqu’une population de 1 million de personnes est menacée, les 200 000 habitants en zone critique représentent une perte regrettable » sous-entendu admissible. Le dialogue de sourds était désormais établi et allait durer : aux inquiétudes et aux questions de la population, l’Etat, la Mairie et les industriels allaient constamment répondre, via les médias, par des omissions et des mensonges d’un cynisme déconcertant. C’est ainsi que ceux qui avaient une responsabilité dans les origines de la catastrophe étaient également ceux qui devait " gérer " la suite au mieux de leurs intérêts (paix sociale, redémarrage du site...). Et L’un de ses objectifs était la remise en route rapide de la S.N.P.E.

Des enjeux stratégiques

La S.N.P.E. en effet, est le fournisseur indispensable de la guerre. Elle fabrique le perchlorate d’ammonium qui est le principal constituant du carburant des fusées, des missiles stratégiques nucléaires et des missiles tactiques. A ce titre la réouverture de cette usine était primordiale et justifiait tous les moyens. Qu’importe dès lors que le site chimique ai explosé plusieurs fois, qu’il soit entièrement pollué ou en zone inondable, qu’il soit sous un couloir aérien et enclavé sur une île au c¦ur d’une ville importante, qu’il nécessite de nombreux transports de matières dangereuses, que la population exige sa fermeture.

Pour nous au contraire, les demandes de fermeture de la S.N.P.E. et de reconversion du pôle chimique reflètent notre volonté de prendre, en tant qu’êtres humains, un véritable pouvoir sur les choix de société et sur l’aménagement de notre environnement. Fermer la S.N.P.E. sans la reconstruire ailleurs, c’est ¦uvrer pour la paix en désarmant la planète. Demander la " reconversion du site chimique ", ce n’est pas demander, comme le suggère la mairie, une production de " chimie fine ", de biotechnologies, d’O.G.M. ou d’autres trouvailles qui peuvent engendrer de plus grandes catastrophes. Au contraire c’est revendiquer de pouvoir choisir nous mêmes, les produits à fabriquer et la manière de les fabriquer.

La notion d’usine à risque en zone urbaine, à la norme SEVESO, est dépassée. C’est bien d’activités à risque et d’usines de mort tout court dont il s’agit. Car, au-delà des riverains, ce sont bien des millions d’êtres humains qui sont directement concernés par la production guerrière de la S.N.P.E. Ce sont les populations qui risquent de subir les effets destructeurs d’une production nécrogène bien loin de son lieu de production. Tout comme le nucléaire et le poison génétiquement modifié, la mort a beaucoup de visages et ne connaît pas de frontières.

La parfaite gestion d’une crise majeure

La gestion de l’accident a été réussie de main de maître. Malgré un début chaotique, les pouvoirs publics ont su éviter les turbulences sociales. On a pu vérifié à cette occasion le fonctionnement et la coordination des divers organes de gestion de crise : média, police, armée, secours, aides sanitaires et humanitaires, aides psychologiques...

Aux premières heures par exemple les autorités envoyèrent les CRS et l’armée patrouiller dans les cités avant même les secours... Le " risque de pillage " repris par les médias a servi de justification et d’exutoire à tous autres risques et principalement à celui de sur-accident qui était fort possible (des éléments chimiques pouvaient encore exploser, polluer l’eau et l’air et tuer). La mise en place des cellules de soutien psychologique a permis de canaliser les émotions, d’écouter, de rassurer et peut-être d’orienter les ressentis. Pour le reste, le grand élan de solidarité nationale, les pleurs, les concerts, les dons sont arrivés pour permettre une forme de reconnaissance, non pas du sacrifice prémédité mais de la douleur due au ³ pas d’chance ². Il fallait faire parler la population traumatisée, lui consacrer une radio locale, des colonnes dans la presse, lui donner la sensation d’être écoutée, entendue, informée jusqu’à saturation autour de débats souvent secondaires et orientés par des spécialistes. C’était la politique du " cause toujours " mais mêlée à la volonté de paraître tous ensemble, égaux et unis face à l’adversité.

Un an au sein du collectif Plus Jamais Ça - Ni Ici Ni Ailleurs

Dès le début nous fûmes quelques uns, clairement libertaires à rejoindre le Collectif Plus Jamais Ça. Nous savions le Collectif initié par un cartel d’organisations politiques mais la situation était suffisamment exceptionnelle pour que nous participions à cette association. Il est important de faire des constats sur cette année de lutte car elle est un échec cuisant (la reprise d’activités industrielles sur le site). Même si le Collectif a pu regrouper jusqu’à deux cents personnes en assemblée générale et 15 à 20 mille manifestants dans les rues de Toulouse, certains de ses membres n’ont jamais su mettre de côté les enjeux politiques et les schémas structurels pyramidaux dans lesquels ils sont imbriqués. Ils veulent canaliser le mécontentement et acquérir une légitimité de "négociateurs-permanents-de-tout-et-n’importe-quoi " auprès des autorités. Ceux qui ont déjà côtoyés ce genre de personnage au sein d’autres luttes connaissent leurs pratiques. Les tentatives pour mener des débats de fond sont repoussées. La rétention des informations est une règle. Les tâches sont confiées qu’aux seuls " spécialistes ", etc. Par exemple la commission logement fut investie par les membres du Droit Au Logement (D.A.L.) qui reprirent tel quel leur ancien cheval de bataille, leurs anciens mots d’ordre. Ils orientèrent les actions militantes vers des occupations symboliques d’appartement tout en revendiquant l’application de la loi de réquisition, sans jamais mener un travail de réflexion et sans jamais organiser des réquisitions effectives. Finalement il ne se passa rien du tout et la commission logement disparut aussi vite que le D.A.L. Pourtant de nombreuses personnes vivent encore dans des maisons ou des appartements dévastés, ou bien dans des pré-fabriqués.

Nous pensons que la lutte a été sabordée en juin, au moment crucial où se décidait la réouverture du pôle chimique. Il n’y a eu que de faibles réactions à l’annonce de la réouverture. Par une manoeuvre grossière de " bourrage d’urne " les politicards du collectif ont pour leur part décidé de réagir après les vacances, à la rentrée de septembre : le collectif décida de participer gentiment à la journée de commémoration symbolique organisée par les pouvoirs locaux, civils, politiques et religieux.

Le chant du cygne ?

Mais faut-il le dire, l’heure n’est pas encore pour nous à la réconciliation. C’est pourquoi nous avons tenu à perturber le discours commémoratif que le maire prononçait pour l’anniversaire de la catastrophe. Il nous semblait important de rappeler aux Toulousains que le pôle chimique avait recommencé ses activités et que les décideurs étaient d’ors et déjà coupables et responsables des futurs victimes. Bien que la police déchira rapidement notre banderole elle ne put nous faire taire. Hormis la joie d’avoir gêné le maire Douste-Blazy nous sommes heureux de n’avoir pas laisser le souvenir des morts et des blessés aux crocodiles à cravate, tailleur Chanel ou uniforme.

Balou

D’après la brochure écrite par les copains. Contact : CHAT C/O CRAS, B.P. 492, 31100 Toulouse cedex 06.

(1) Le T.N.T. est un puissant explosif qui sert d’unité de comparaison entre les différents explosifs, qu’ils soient " conventionnels " ou nucléaires.


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