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Rennes - Récit des manifestations du 7 au 18 mars...



Le mardi 7 mars, la journée débute par une manifestation de plus de 10 000 personnes effectuant un trajet de la gare... à la gare. Au cours de la manifestation, une partie du mobilier d’une agence d’intérim est déménagé et rendu à l’usage de la rue. Peu après, et ce malgré les appels à rentrer chez soi de certaines tendances du mouvement, quelques groupes enfoncent les barrages du service d’ordre et permettent à un bon millier de personnes de s’engouffrer dans la gare et d’y occuper les voies pendant plus d’une heure avant d’être délogés par plusieurs charges de CRS. Les manifestants (pour l’essentiel des étudiants et des lycéens) ripostent par quelques jets de canettes et de pierres et un chariot. Des étoiles sont ainsi inscrites dans la morne façade post-moderne de la gare. Les affrontements se poursuivent autour de la place de la gare jusqu’à la dispersion des plus déterminés.

Le jeudi 9 mars après midi, nouvelle manifestation réunissant 5000 personnes, pour l’essentiel des lycéens et des étudiants. Jets de peintures sur différentes agences (immobilier, intérim, assurances...) et déménagements du mobilier (quatre dont une ANPE cadres) et ce avec le soutien de la commission action de Rennes II. Vers 17h, un cortège non domestiqué se rassemble peu à peu place de la République et décide de se rendre au siège local de l’UMP. De 400 à 800 personnes (dont une grande part de lycéens) prennent à parti pendant plus d’une heure les quelques dizaines de gendarmes mobiles postés là : à coup de canettes, mais aussi de pierres et de fusées de détresse.
L’inexpérience des manifestants permet aux forces de l’ordre d’attendre que les émeutiers n’aient plus de projectiles pour les disperser et tenter de les encercler sur la place de Bretagne.
Plusieurs arrestations ont lieu. Des condamnations tombent pour l’un d’entre eux : 105 heures de TIG (Travail d’Intérêt Général) pour détention de barre de fer et pour un autre : une peine de sursis et une interdiction de manifestation pour un de jet de canette, accusation qu’il niera. Le soir, une manifestation de nuit est organisée par l’AG de Rennes II qui réunit selon les différents moments entre 200 et 500 personnes. Le cinéma Gaumont sur les quais de la Vilaine est quelque peu chahuté, ses séances de fléaux pour la sensibilité commune (du cinéma) sont interrompues. Mais la tension de l’après-midi et l’absence d’orientation précise du cortège (un point de fixation avec les forces de l’ordre) empêchent les manifestants d’entamer leur disposition à l’impuissance, laquelle a entre autres raisons le sentiment erroné mais diffus de l’invincibilité policière.

Le lundi 13 mars, une assemblée générale était convoquée, dont le principal objet était la reconduction du blocage. Plus de 5000 personnes y furent présentes. Le vote à main levée a permis de dégager une nette majorité d’étudiants favorable à la poursuite du blocage jusqu’au lundi suivant. Cette même assemblée, face à l’organisation d’un vote avec carte d’étudiants par la présidence de l’université, a décidé non pas de boycotter ce nouveau vote mais de l’empêcher. Deux cents étudiants se sont alors rendus en direction des files d’attentes et ont barré l’accès aux anti-grévistes.
Bousculades, quelques coups de poings et de tête ont été échangés, ce qui a décidé la présidence dans une belle confusion à reculer et à demander la dispersion des anti-grève et de quelques grévistes fort nombreux venus faire la queue pour voter avec leur idée mal conçue de la démocratie.

Mardi 14 mars, la manifestation est partie de la gare vers l’usine Gomma, en soutien aux ouvriers licenciés ou reclassés. En route, des actions de déménagement étaient prévues. Elles ont échoué parce que, d’une part, la plupart des bâtiments ciblés avaient anticipé en fermant leurs portes et d’autre part, du fait d’un service d’ordre lycéen et de Rennes I peu enclin à favoriser ce genre d’actions, alors que le service d’ordre de Rennes II y participait et avait été rebaptisé à cette occasion « service d’action ». Baptême qui signale que le service d’action n’est plus ce qui empêche les « débordements » mais ce qui protège les manifestants actifs, des policiers en tout genre et des journalistes. Tout de même, quelques vitrines ont été recolorées et une petite auto-réduction dans un Marché plus a permis de récolter quelques œufs-munitions. (Journalistes et RG n’ont pas été épargnés). Un feu de palettes a agrémenté notre arrivée à l’usine de Gomma, avant que nous envahissions la rocade pendant une bonne heure. La manifestation s’est peu à peu dissoute en route vers la préfecture où les affrontements n’ont été que du regard.

Jeudi 16 mars, vers 11 heures, la mairie a été prise d’assaut par une centaine de manifestants, pendant qu’un cortège s’ébranlait pour un petit tour. Nous nous étions mis d’accord pour tout barricader. Le trois policiers municipaux présents ont été contraints de sortir par la fenêtre. Deux heures plus tard, les CRS chargeaient à coups de matraques et balançaient quelques lacrymos. Dix minutes plus tard, le cortège arrivait à la mairie : il aurait pu arriver plus tôt pour défendre les occupants de la mairie comme le réclamait la situation, cette action ayant été votée en AG, mais les casseurs de mouvement de l’UNEF n’ont pas daigné dévier la manif et ont même empêché que cela soit possible. On leur en veut même pas tellement ils sont dépassés par tout ce qui se passe. À 15 heures, une manifestation sauvage, sans service d’ordre ni présence syndicale officielle, s’est dirigée vers l’UMP.
Les affrontements ont immédiatement commencé. Nous étions assez mobiles et plusieurs feux de poubelles sont venus bloquer la circulation. Quelques vitrines ont souffert ainsi que quelques gardes mobiles. La BAC arrivait par derrière ou sur les côtés et tirait au flashball à bout portant sur les derniers manifestants fuyant les gaz, afin de les interpeller. À 19h30, il y eut une trêve. Un nouveau rendez-vous fut fixé pour 21 heures. Place de la mairie, plusieurs centaines de personnes se regroupent et partent dans les rues tout d’abord silencieusement puis aux cris de « Révolution sociale et libertaire ». Les slogans stupides « Non non non au CPE, oui oui oui à plus de CDI »ne semblant pas duper quiconque dans la manifestation. Un bon millier de personnes (lycéens, étudiants, gens de divers quartiers, flics en civils) finit par s’agréger au cours de la déambulation. Quelques pierres dérapent sur des vitrines de Petites pourvoyeuse de Misère Existentielle (intérim, banques, assurances...). Quelques faibles protestations, cherchant à diviser le mouvement, se font entendre, utilisant le registre de la LQR « La violence, c’est pas bien...[ou] vous décrédibilisez le mouvement ».
Elles ne trouvent aucun écho auprès des manifestants. Le cortège se présente enfin, vers 23 heures, rue des Fossés près de la préfecture de région. Des jets de pierre et de cocktails molotov affichent de manière « lisible et crédible » la détermination des manifestants face à la police. Des grenades lacrymogènes divisent et repoussent les manifestants pour une part vers la rue de Toulouse et pour une autre part en direction des quais. Quelques minutes suffisent pourtant aux manifestants pour se regrouper place du Parlement : une barricade est érigée rue Victor Hugo à l’aide d’une voiture et de poubelles. Des kaïras invitent alors les étudiants à se joindre à eux en première ligne aux cris de « Eh ! les révolutionnaires, venez ! !... »
L’alliance entre les émeutiers de novembre et les étudiants devient alors effective. Les flics essuient à nouveau des jets de pierre. Des grenades lacrymogènes renvoient les manifestants au point de départ. Des projectiles de toute nature (pavés, bouteilles, engins incendiaires...) sont lancés en direction de la précédente place où sont retranchés les gardes mobiles. La mairie, siège du manager municipal est prise pour cible, quelques banques, diverses enseignes de soumission marchande sont attaquées. La police redouble d’efforts pour disperser les manifestants, ceux-ci se regroupent place de la République, il est environ 1h30. Les émeutiers sont maintenant moins nombreux, il reste peut-être les plus joyeusement irréductibles qui se rassemblent sur les quais en direction du musée des Beaux-Arts. Des affrontements ont encore lieu jusqu’à 4 heures du matin, heure à laquelle la police lève le camp. Ou plus exactement, la rue lui est désormais laissée.

Samedi 18 mars, la manifestation interprofessionnelle débute à 11h30. Trajet : de la gare à la gare. À l’arrivée, comme la semaine précédente, un service d’ordre inter-syndical protège avec la police l’entrée de la gare. Il se relâche au bout d’un quart d’heure, ne voyant aucune intention de la part des manifestants d’y pénétrer.
Ensuite, au moment où un syndicaliste, muni d’un mégaphone, annonce qu’il faut constituer un bureau pour commencer l’AG interpro prévue sur la place de la gare, une fanfare se met à jouer et par sa puissance magique, emmène les manifestants sur les rails. Nous y resterons une heure. Cette fois-ci, nous en sommes sortis tout seuls pour anticiper la charge et les gaz des gardes mobiles afin de les affronter dans la rue, lieu plus propice. Une seconde manifestation s’est constituée sans service d’ordre, sans leader, sans trajet. Les services de police quelque peu désorientés bouchaient toutes les rues donnant accès à la préfecture. Nous nous sommes alors dirigés place de Bretagne. Dix pacifistes ont tenté une opération hostile au mouvement, en criant : « Les casseurs dehors, les casseurs tout seuls » et ont tenté d’emmener le cortège ailleurs. Personne ne les a suivis. Des slogans leur ont répondu, tels que « Nous faisons la guerre au capitalisme, nous n’sommes pas des pacifistes » ou « Nous sommes tous des casseurs ». Cinq minutes plus tard, l’ensemble des manifestants, y compris les pacifistes, se dirigea à quelques pas de là vers l’UMP, où des affrontements commencèrent par une charge des manifestants à coups de bouteilles et de cailloux. Rapidement, les forces de l’ordre ont répondu par des gaz et des tirs de flashball.
Un pacifiste a été touché à la jambe. Des vitrines ont été étoilées, un RG chassé. Les gardes mobiles ont tenté en masse un encerclement qui a scindé les manifestants en groupes épars. Jusqu’à 20h30, des regroupements se sont formés à de multiples reprises, attaquant et se dispersant à nouveau. Le bitume a fondu sous la chaleur des poubelles en feu, le sol était jonché de palets lacrymogènes, de bouteilles brisées et de cailloux, un peu partout en ville.
Ces derniers jours ont marqué l’impossibilité pour les media, les bureaucrates et les voix de l’ordre établi, de diviser le mouvement en « casseurs » d’une parte et « étudiants » d’autre part. Car comment masquer le fait que les affrontements concernent des milliers de personnes ? Et ce depuis plusieurs semaines à Rennes ? Ici, il n’y a plus de manifestation sans affrontements et actions. Un principe d’une action au moins par manifestation a même été voté par l’AG de Rennes II. La cagoule, l’écharpe, le citron, le sérum physiologique, le caillou, deviennent les objets communs d’un nouveau monde. Des manifestants s’organisent en groupes et chargent ce qui a trait à la police et certaines cibles liées à l’existence métropolitaine. Une communauté de lutte est née (qui n’est pas sans luttes internes) qui s’organise au sein de l’hostilité policière de la métropole. Et ce qui anime cette communauté se situe déjà bien au-delà du simple CPE.

À bientôt.
Rennes, le dimanche 19 mars
Mireille et Mathieu

Appel de Rennes II

Les grévistes de Rennes II sont unis en tant qu’ils considèrent que la grève avec blocage de l’université est pour ceux qui y étudient la condition sine qua non d’une lutte contre le CPE ; non que cela suffise, mais cela libère le temps et l’énergie sans lesquels il n’y aurait pas de lutte, mais une simple divergence d’opinions.

Ils sont également unis en tant que pour eux la grève avec blocage est le seul moyen de provoquer le débat politique sur le CPE en dehors des joutes oratoires feutrées des parlements.

Ce débat politique sur le CPE a permis de constater au sein du mouvement une forte tendance à ne pas se satisfaire de slogans tels que « non au CPE, pour plus de CDI », qui suggèrent que le CDI serait en soi un contrat équilibré, favorable aux salariés, qu’il s’agirait de défendre comme un acquis, une position de force conquise par les luttes passées. Il apparaît pourtant que tout contrat de travail garantit seulement les modalités d’une exploitation. Nous considérons que rejeter une réforme qui aggrave nos conditions de vie ne doit pas signifier la valorisation unilatérale de l’état de chose préexistant.

On nous parle de prudence, nous disant qu’il ne faut pas effrayer « la grande masse des gens ». Pourtant, la grande masse vit quotidiennement la réalité du CDI. Lui faudrait-il cesser de lutter, de faire grève, sous prétexte qu’elle jouirait de privilèges auxquels tous les précaires rêveraient d’accéder ? On connaît ce raisonnement, c’est celui par lequel on combat la révolte en prétendant que seul le pire la justifie, et que le pire est toujours ailleurs. Nous prétendons que revendiquer plus de CDI contribue à la fabrique du consentement à l’égard de ce qui est.

Curieusement, ce sont ceux qui veulent que l’horizon du mouvement ne se limite pas au retrait du CPE qui prennent le plus ce mouvement au sérieux, qui sont les plus déterminés à lutter jusqu’au bout, à lutter, quoi qu’il en coûte, jusqu’à son retrait.

Ne nous leurrons pas : le CPE ne sera pas retiré si nous commençons à nous dire qu’il faudra peut-être reprendre les cours si le gouvernement ne cède pas très vite. Il ne sera retiré que si, partout, est reprise l’idée qu’il faudra la police pour nous faire plier, que nous n’accepterons pas que l’immobilisme et la lassitude de ceux qui restent spectateurs du mouvement décident pour nous. L’épuisement, nous ne le connaissons pas. La liberté n’est pas épuisante, mais exigeante. Nous sommes contre le CPE parce qu’une certaine idée de la précarité nous est chère ; pas celle des tracasseries quotidiennes pour trouver et conserver un emploi plus ou moins désagréable mais toujours subordonné à la nécessité de se vendre comme force de travail pour survivre ; mais la précarité de l’existence et de la pensée que ne vient garantir nulle autorité à laquelle se soumettre, nulle communauté à laquelle appartenir, famille, entreprise ou État. Qu’on ne voie là nulle célébration libérale de la « mobilité », cette liberté d’aller d’expérience en expérience ; au contraire, puissants sont nos attachements, et c’est parce que nous ne voulons pas y renoncer que nous pouvons prendre le risque de tout perdre. C’est parce que nous ne voulons pas d’une joie garantie durable qui se marchande à coups de renoncements quotidiens et que nous savons que cette joie de lutter ensemble a pour fond la politique, la discorde, la fragilité des règnes, que nous assumons la précarité comme la vérité de notre condition. D’autres parlent de l’épanouissement par le travail et de la reconnaissance qui lui est liée. Mais comment ne pas voir qu’il s’agit toujours à un moment donné de renoncer à être pleinement fidèle à ce qui nous anime quand par exemple nous enseignons, soignons, créons, et d’accepter de faire avec l’ordre des choses, de nous y adapter, jusqu’au point où suivre nos désirs signifie concourir au maintien de cet ordre ? Derrière le refus du CPE, on entend d’abord la peur, la peur de ceux qui se savent isolés, d’être encore plus dépourvus face aux pouvoirs, face à la suprématie de l’économie ; et cette peur ne trouve d’autre voie que de se traduire en demande de sécurité.

C’est la même logique qui demande à l’État plus de flics contre l’insécurité et plus d’emplois contre « l’insécurité sociale ». Encore et toujours nous supplions l’État de bien vouloir nous protéger. Car nous sommes maintenus, de par l’effet d’une politique qui n’a rien de hasardeux, dans une situation où il nous faut choisir entre la grande pauvreté des allocations et l’emploi de toute notre vie au service de projets entrepreneuriaux.

À cette demande de sécurité, nous opposons la confiance dans la communauté de ceux qui refusent la politique libérale. Et qui pensent que refuser avec conséquence implique d’en finir avec l’isolement de chacun, de mettre en partage moyens matériels, expériences et affects pour rompre avec la logique libérale dont le CPE n’est qu’un symptôme. La question de subvenir à nos besoins devient alors une question collective : celle de constituer entre nous des rapports qui ne soient pas des rapports d’exploitation contractuelle. Et de faire que ce nous ne soit pas celui d’un groupe restreint, mais le nous de l’affirmation révolutionnaire.

Tendance gréviste ni CPE ni CDI


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