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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°48 - Avril 2006Mouvement anti-CPE > Pour un syndicalisme de luttes et de convergences anticapitalistes

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A propos de syndicalisme

Pour un syndicalisme de luttes et de convergences anticapitalistes


On ne peut que mesurer l’importance des syndicats dans les mobilisations sociales de ces dernières années. En effet, à part de trop rares cas, comme les intermittents, qui ont su se doter d’outils autonomes pour mener leur lutte, l’action syndicale reste souvent la seule arme qu’ont les travailleurs pour défendre leur cause. Et l’on a pu voir ces derniers mois avec l’autodestruction d’AC ! (mouvement de chômeurs et précaires né en 1994), toute la difficulté d’organiser une riposte d’ampleur vis-à-vis du CNE (Contrat Nouvelle Embauche pris par ordonnance fin août) ou du RMA. Si les syndicats CNT et SUD représentent un syndicalisme plus combatif avec des orientations plus proches d’idées radicales et novatrices au niveau des revendications, leur faiblesse les empêche de peser dans un rapport de force majeur contre le gouvernement comme lors des retraites ou dans le cas ici présent du CPE.


La lutte anti-CPE est une bonne occasion pour les syndicats de redorer leur blason après avoir pour certains, comme la CFDT, signé de nombreux accords avec le patronat mettant en cause les conquêtes sociales (retraites, chômage, droits ASSEDICS, etc.) Pour la CGT, dont on peut se rappeler les tiraillements internes occasionnés lors du mouvement sur les retraites où seules quelques unions départementales avaient travaillé à la concrétisation d’une grève générale, ils se sont engouffrés dans la lutte anti-CPE au travers de leur section Jeunes, très en vue lors des manifestations. Pour autant, cette dernière tient avant tout au contrôle du mouvement. Alors qu’il aurait pu sembler logique pour la CGT d’élargir la contestation sur la question de la précarité, qu’elle a souvent combattue aux côtés des associations de chômeurs et précaires, elle s’est évertuée à enfermer le mouvement dans une dénonciation du CPE, voire du CNE, tout cela au nom de l’unité syndicale. On pourra nous rétorquer que cela n’est que tactique et qu’il faut faire prendre conscience de la nécessité de globaliser la problématique de la précarité dans notre société. Mais à lire les notes du syndicat et en discutant avec les militant-e-s CGT, rien n’indique qu’il y ait eu ce travail de sensibilisation et d’information. Car, si le CPE retiré, il reviendra par la petite porte. L’objectif du MEDEF est bien d’abolir le Contrat de travail actuel pour arriver à ce que l’on nomme l’employabilité : une personne n’aura plus de statut fixe, mais sera ballottée au gré des besoins du marché et de l’entreprise.

Une CGT qui cherche l’hégémonie

De plus la CGT, inquiète de l’autonomie du mouvement étudiant, n’a pas manqué de revenir à des dispositions que l’on croyait d’un autre temps. On avait cru comprendre qu’un esprit nouveau avait flotté sur le drapeau rouge et qu’une évolution substantielle s’était produite depuis les années 1970 sur l’analyse et les rapports entre la CGT et les mouvements et organisations. Que l’époque « des étudiants petit-bourgeois » et « alliés de la bourgeoisie », dixit la centrale, était bien révolue... À en croire un texte de l’UD CGT 44, on voit que la peur de se faire dépasser par la base est toujours redoutée. « L’UD CGT 44 invite ses syndicats à faire preuve d’une attention particulière sur d’éventuels contacts émanant d’étudiants dits mandatés par l’assemblée générale. L’UD CGT 44 travaille dans le cadre de l’intersyndicale avec les organisations d’étudiants et de lycéens, UNEF et UNL. De plus, le collectif jeunes CGT 44, au sein du collectif STOP CPE 44, impulse depuis maintenant deux mois une démarche établissant le lien permanent lycéens, étudiants, salariés. Il est utile et efficace que nos syndicats privilégient comme interlocuteurs éventuels, nos structures syndicales. » On sait bien que cette position n’est pas forcément représentative des militant-e-s de base, mais les stals de la CGT se croient en 1968 et nous rejouent la même pièce, toujours aussi mal. Comment aller ensuite expliquer dans les collectifs que la CGT veut nouer des liens avec les nouveaux mouvements sociaux ?

L’horizon majoritaire : un CDI à vie et la formation permanente

L’horizon pour le mouvement anti-CPE, pour la majorité des syndicats, reste le CDI qui apparaît indépassable. En parlant avec des syndicalistes, on se rend compte que la motivation de la majorité d’entre eux comme chez les lycéens et les étudiants, c’est d’avoir un CDI à vie. À aucun moment le contenu du travail n’est interrogé, pas plus que sa finalité. Comment ne pas (se) poser de questions sur l’une des activités principales qu’on a dans sa vie ? Comment peut-on avoir une activité pendant 40, 45 ans sans avoir une position de sujet politique vis-à-vis d’elle ? Quant à la question de plaisir, n’en parlons même pas : pour la CGT, l’idéal reste que la caissière ait un siège plus confortable et un meilleur salaire, quitte à crever d’ennui pendant 15 ans jusqu’à son licenciement ou départ... Dès la fin des années 1990, la centrale de Montreuil avait pourtant avancé un projet de « sécurité du salarié » (formations continues, périodes de chômage mieux indemnisées) mais ces positions ne sont pas parvenues aux oreilles de la majorité des adhérents du syndicat, de par l’organisation pyramidale et la faiblesse des échanges horizontaux de la « centrale ».

Cette culture est plus présente à la CFDT, historiquement, mais aussi dans les récentes déclarations de Chérèque concernant la formation permanente. La CFDT fait le grand écart entre ces idées-là et la gestion de l’Unedics : la dernière convention restreint encore plus les droits et les durées d’indemnisation tout en appliquant un flicage permanent des chômeurs. Par ailleurs, les idées de formations permanentes sont certes, à première vue, généreuses. Il s’agirait d’avoir des périodes de formation longues pour changer de métier ou avoir un poste plus « plaisant » au sein d’une entreprise. On peut penser que c’est mieux que rien, mais le problème, c’est que c’est du pipeau. Prenons par exemple le droit individuel à la formation, négocié et voté par les partenaires sociaux et le gouvernement en septembre 2004. Cet accord a été présenté comme une avancée remarquable par les syndicats et le gouvernement. Dans les faits, il s’agit de vingt heures par an (!) pour se former à autre chose au sein d’une entreprise : qui pense sérieusement que l’on puisse apprendre quelque chose de nouveau ou d’intéressant avec une formation aussi courte ! En fait, les formations porteront surtout sur un outil de travail (machine, conseils de base pour un logiciel...) ou, le plus souvent, sur des formations sécurité rabâchées. Et pourtant, tous les syndicats s’engouffrent dans la formation « permanente ».

L’autre aspect, c’est que dans un monde où le profit est central, les salariés seront formés... à renforcer le système capitaliste, à permettre à leur entreprise de faire plus de profits, et donc peut-être à se restructurer...

Le PS lorgne du côté de ces idées pour établir son programme : Ségolène Royal se réclame de Tony Blair, Martine Aubry propose un contrat EVA qui est une resucée des contrats de qualif, un peu améliorés, mais ce ne sont pas de nouveaux contrats de travail qui globalement entraveront le capitalisme et les mutations du salariat. Quant à Villepin et son ministre de l’enseignement sup, ils remettent en jeu la professionnalisation de l’enseignement supérieur. L’objectif est simple : que le jeune soit de plus en plus spécialisé sur des tâches simples et précises au lieu d’acquérir un savoir en profondeur qui lui permettrait d’avoir une position de sujet politique et, tout simplement, d’être humain conscient, vivant.

Le syndicalisme reflète la société plus qu’il ne la change

Certes, nous pouvons nous poser des questions sur la capacité d’un mouvement social à entamer un bras de fer avec le gouvernement dans une période où l’éclatement syndical et la faiblesse de regroupements collectifs autonomes sont réelles. Il serait d’après nous réducteur de tomber dans un discours anti-syndical qui tourne en rond. Être syndicalement actif dans le privé, c’est s’exposer aux sanctions, aux placards, c’est se battre dans une relative ou totale indifférence générale. Un cercle vicieux : les syndicats sont peu combatifs sous prétexte que les salariés le sont peu, les salariés reprochent aux syndicats de ne pas assez bouger... En fait, l’état des syndicats est lié à une société de plus en plus morcelée en sous-catégories et où, pour se prémunir de la peur des lendemains, l’intérêt individuel passe avant tout.

Les grosses centrales (CGT, FO...) se sont progressivement transformées en gestionnaire du système (Unedics, caisse des retraites) lors des compromis sociaux des Trente Glorieuses, puis, dans un second temps, dans la sous-traitance d’aide aux salariés. L’immense majorité des salariés, notamment dans le privé, ne s’organisent plus entre eux pour se battre (au sein d’un syndicat ou d’un collectif de luttes) mais se tournent vers les syndicalistes en cas de problème personnel.

La décrédibilisation de l’action collective s’est renforcée avec l’échec du mouvement contre la réforme des retraites en 2003 : malgré les vagues de millions de manifestants dans la rue le gouvernement n’a pas plié et les journées de mobilisations qui se sont succédées dès lors, jusqu’à aujourd’hui, n’ont entraîné aucune « victoire ». Pire, la précarisation à l’œuvre depuis vingt ans n’a entraîné aucune remise en cause de l’organisation même des syndicats, comme de ce qu’ils demandent. Pour l’organisation on en reste aux lourdes structures corporatistes, de plus en plus isolées entre elles. Hormis au sein de la CNT qui a une interpro souvent vivante, quel professeur côtoie des ouvriers (ou l’inverse) au sein de sa « centrale » (ou dans le reste de sa vie d’ailleurs) ? Beaucoup de jeunes en contrats précaires n’ont pas de fédération à laquelle s’affilier, les syndicats de profs n’intégreront pas des assistantEs scolaires etc. Bref, le syndicalisme, c’est un peu comme un cube qui roule. Qui plus est dans la mauvaise direction : les revendications portent sur le maintien d’un emploi de plus en plus précaire et de plus en plus rare au lieu de porter sur les revenus, sur les ressources. Alors que le mouvement des chômeurs et intermittents, dont No Pasaran est proche pour ses franges démocratiques, réclament « à emploi discontinu, revenu continu », les syndicats, eux, tablent uniquement sur l’emploi qui doit fournir les ressources.

Pour les syndicats et les collectifs politiques, l’un des axes de percée peut consister à convaincre que l’intérêt individuel est lié à l’intérêt collectif et que le CPE touche TOUS les salariEs : plus d’intensité de travail pour tous par exemple, car la fragilité des CPE, licenciables à tout moment, rend également les personnes en place et en CDI fragiles, on leur demandera d’en faire plus pour un salaire qui restera équivalent (combien d’entreprises licencient, en les poussant vers la sortie, des CDI en place depuis vingt ans pour les remplacer par des intérims ?)

Le syndicalisme co-gestionnaire, la voiture-balais du capitalisme

Hormis la CNT et SUD, ainsi que des syndicalistes de base révolutionnaires, les orientations des centrales syndicales s’insèrent totalement dans un mode productiviste et capitaliste. Changer le sommet des syndicats, sans toucher à la structure mentale qui a mis les permanences en place, ne changera pas à grand-chose. Au lieu de partir de la rationalité économique et de vouloir former les gens à être employables, rentables, pour renforcer le système d’exploitation et de mort, le capitalisme, nous devons partir de ce que nous voulons vivre, et comment. Une lutte syndicale ne peut, à notre avis, que s’insérer dans une lutte plus large contre le capitalisme. Cela suppose de redéfinir les modes d’organisations, les revendications, ainsi que les moyens d’actions.

Ph et R.


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