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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°48 - Avril 2006Mouvement anti-CPE > Violences, vous avez dit violences ?

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Casse, affrontements, barricades, lynchage, répression, provocation...

Violences, vous avez dit violences ?


La manifestation parisienne du 23 mars a été l’objet de bien des gloses médiatiques et policières, dénonçant le nombre des incidents dus à des « casseurs ». Et c’est vrai que cette manif a reproduit un fait remarquable, assez nouveau bien que déjà présent l’an dernier lors du mouvement lycéen contre la loi Fillon : la présence de nombreuses personnes venues non manifester, ni s’affronter à la police, mais s’en prendre précisément aux manifestants. Rapide retour et tentative d’analyse de cette nouvelle réalité où les manifestations ne « pètent » plus, mais « implosent »...


L’actuel mouvement anti-CPE a dès le début été émaillé d’incidents violents, opposant les manifestants et aux forces de l’ordre et parfois aux fascistes, au cours desquels eurent lieu un certain nombre d’actions classiquement qualifiées de « casse « : vitrines brisées, poubelles et voitures renversées et/ou incendiées... Cette logique somme toute assez classique, mais intéressante par la radicalisation progressive du mouvement qu’elle dénotait, culmina lors des trois journées des 14, 16 et 18 mars, qui virent des centaines de personnes s’attaquer aux forces répressives de l’État - les fascistes se faisant quant à eux ramasser les 12, 14 et 16 mars.

Point remarquable : ces actions étaient le fait de manifestants, elles avaient lieu en complémentarité avec les actions pacifiques, et étaient majoritairement soutenues par tous les participants au mouvement, pacifistes comme « violents ». On arrivait à une réelle coexistence des modes d’action, où chacun trouvait son compte et pouvait agir de la façon qui lui semblait la meilleure face à un même ennemi - non seulement le CPE, mais, pour de plus en plus de monde au fil du temps, contre le gouvernement, voire contre la société qui le secrétait. Certes médias et flics dénonçaient à longueur de journée les « casseurs », mais cette logorrhée verbale n’avait que peu de prise.

De l’explosion à l’implosion

La journée du 23 a ici constitué un tournant. Elle semblait au départ marquer un nouveau pas dans l’escalade du rapport de force : pour la première fois, l’ensemble des AG étudiantes appelaient à la non-dispersion en fin de la manif, autrement dit assumaient le rapport de force physique avec la police. Or le résultat fut tout autre, la manifestation s’est rapidement dispersée aux Invalides après avoir défilé dans une ambiance tendue. Pourquoi ? Du fait de la présence de centaines, peut-être d’un millier de « jeunes « descendus de banlieue et qui n’ont eu d’autre activité que d’attaquer le cortège lui-même, ou du moins tout manifestant isolé (avec une nette préférence pour les filles) par groupes atteignant parfois la centaine, se livrant à de véritables lynchages et à de nombreux vols et parfois attouchements sexuels sur leurs victimes.

Attention ! ces jeunes ne sont pas « les jeunes » : jamais autant que le 23 mars on n’a vu l’absurdité des catégories comme « les jeunes », « les banlieusards », etc. : certains cortèges de lycées de banlieues furent eux aussi attaqués, quand leurs membres ne prirent pas sur eux de chasser ces bandes. Idem, d’ailleurs, pour la catégorie « les émeutiers de novembre », que certains fantasment révolutionnaires, alors que d’anciens émeutiers se retrouvaient aussi bien chez les manifestants que chez leurs agresseurs.

Ce sont ces individus qui ont été qualifiés de « casseurs » par les médias et la police, lorsqu’ils relatèrent les incidents du jour. La comparaison avec les « casseurs » des semaines précédentes était pourtant abusive : là où se pratiquait une casse politique et collective, partie prenante du mouvement et ressentie comme telle par la majeure partie de celui-ci, s’est opérée ici une « casse » du mouvement par des gens qui lui étaient extérieurs. Nul objectif politique perceptible, il ne s’agissait même pas de s’en prendre à tel ou tel cortège pour ses positions politiques, mais bien de se faire plaisir en se défoulant, non pas sur les flics ou autres symboles d’un ordre qu’on rejetterait, mais sur les plus faibles, les isolés, et en profiter pour « faire son marché ». L’expression vaut son poids : loin de présenter une quelconque alternative aux pratiques sociales dominantes, ces individus les ont importées au sein du mouvement : l’individualisme a remplacé le collectif, la loi du plus fort la démocratie et l’autogestion. Une véritable « implosion » du mouvement : incapable de réagir de façon concertée, la quasi totalité des manifestants choisirent, arrivés aux Invalides, de « sauver leur peau » qu’ils voulaient bien risquer contre la police, mais pas contre ces nouveaux prédateurs.

La violence, pour ou contre la mobilisation

Défendre ce type d’agissements sous prétexte qu’il s’agit de « casse », ou plutôt que les médias aux ordres les qualifient de « casse », revient à faire preuve d’un aveuglement peu commun. D’abord parce qu’il s’agit d’un phénomène qui n’a rien de politique, et rien de commun avec la violence politique, ni dans ses modalités, ni dans ses objectifs : le croire revient à accepter les amalgames douteux de la police et des médias qui, bien dans leur rôle, cherchent à discréditer le mouvement par l’assimilation contestataires = voyous, et vice-versa. C’est surtout ne pas voir l’effet terriblement négatif, pas tant pour l’image du mouvement, mais pour le mouvement lui-même.

Comme pour le mouvement lycéen l’an dernier, il est probable que l’échec du 23 mars et la peur qui a habité la plupart des manifestants ne produise d’importants effets de démobilisation. Autrement dit, ces bandes ont fait le boulot de la police, et se sont révélées les meilleurs alliés objectifs du gouvernement, en dispersant de fait une manif qui se déclarait prête au rapport de force avec la police. Et celle-ci l’a très bien compris : sans rentrer dans une théorie du complot toujours dangereuse, sans même parler de manipulation ou d’infiltration policière, comment expliquer autrement que les flics aient attendu sans bouger que ces bandes dispersent de fait les manifestants puis prennent le métro, avant d’intervenir pour n’embarquer que les quelques centaines de militants qui restaient, terrorisés ou tout simplement bloqués par les mouvement de foule, dans un coin de l’esplanade des Invalides ? Pourquoi réprimer la casse lors des journées précédentes, et pas les violences cette fois-ci ? Tout simplement parce que cette fois-ci la violence signait la casse de la mobilisation, et non sa radicalisation.

D’autre part, il est probable que le mouvement, jusque là assez favorable aux violences politiques, n’en revienne à la classique équation « violence = voyou = mal ». Autrement dit, la complémentarité des modes d’action qui se construisait peu à peu va sans doute laisser la place à un refus de la violence, de toute violence. Et que les affrontements et la casse politique, contre les flics, les banques, les bagnoles, soit désormais assimilée de fait à ces pratiques de « dépouille « individualiste, extérieurs au mouvement et rejetés par lui. À la limite, ce sont les partisans de l’action politique violente qui ont le plus à perdre dans cette affaire, puisqu’ils ne seront plus compris ni soutenus par la masse de la mobilisation - et, isolés, pourront être réprimés en toute tranquillité par une police dont l’action apparaîtra à nouveau légitime au plus grand nombre. Que certains d’entre eux persistent à vouloir défendre ce qui s’est passé le 23 mars témoigne soit d’un aveuglement peu commun, soit d’une mauvaise connaissance de la réalité - il est vrai, et heureusement, très particulière à la situation parisienne.

Enfin, et pire encore, ces faits vont entretenir la tendance sécuritaire que traverse la population depuis des années. Même parmi les manifestants et contestataires, va apparaître ou se renforcer l’image du jeune de banlieue violent et dangereux, dont heureusement la police est là pour s’occuper. Bref, un sentiment de peur, « d’insécurité », qui constitue le fond du sécuritaire et légitime la délégation du pouvoir aux forces répressives de l’État. N’a-t-on pas déjà entendu bien des participants du mouvement réclamer que la police intervienne dans les cortèges pour les « sécuriser » ? Si cette tendance se confirme, en effet, casseurs politiques et tagueurs de murs ont du souci à se faire, tout comme n’importe qui ressemblera un peu trop au prototype du « jeune de banlieue ».

Contre le sécuritaire, la défense active auto-organisée

Si les actions de ces bandes sont inacceptables, l’est tout autant le réflexe sécuritaire et d’appel à l’État qui risque bien de se développer à leur suite. Entre le « laisser faire » individualiste qui revient à cautionner ces actes, et la répression autoritaire qui signe la défaite de la contestation incapable de s’assumer elle-même, il reste une voie à explorer : celle de l’auto-organisation et de la défense active, sur la base de la solidarité directe entre manifestants et contestataires.

La meilleure solution semble malheureusement bien devoir être, dans l’immédiat et sans exclusive aucune d’actions politiques visant à lutter contre les causes de ces agissements, l’auto-organisation de la sécurité par les collectifs de lutte, par exemple sur la base des AG étudiantes, et l’intervention active pour empêcher que de tels actes ne se reproduisent. Chacun sait bien où résident les causes profondes, dans une faillite sociale faite d’exclusion sociale, économique, politique, voire carrément raciste de ces populations reléguées. Chacun sait aussi que seule une action politique de grande ampleur, changeant radicalement le fonctionnement de la société, sera réellement efficace pour réguler la violence sociale. Doit-on, pour autant et dans l’immédiat, laisser faire ? Évidemment non. Nous luttons avec, pas pour ni à la place des gens : si les membres de ces bandes sont assez décérébrés et assez idéologisés pour faire le jeu du gouvernement, qu’ils soient traités comme ce qu’ils sont : les auxiliaires de la répression. Non pas des adversaires politiques avec lesquels on peut ne pas être d’accord sur le sens à donner au mouvement, comme c’est le cas de certains groupes politiques ou syndicaux ; mais des ennemis du mouvement lui-même. Et si la violence est légitime contre la police, elle l’est aussi contre eux.

Reste qu’assumer une telle fonction de sécurité par nous-mêmes, si elle marque un pas décisif dans la ré-appropriation de nos vies grâce à l’organisation et à la solidarité, ne va pas sans dangers. Il faut éviter, d’abord, que ne se forme une sorte de « police parallèle », que certains ne deviennent à leur tour une force de répression incontrôlable par le mouvement - comme c’est parfois le cas des SO syndicaux. D’où la nécessité de faire émaner cette organisation directement des collectifs de lutte, devant lesquels ils devront rendre compte et, autant que possible, qui devront faire l’objet d’une rotation des tâches. Il faut éviter, surtout, que ne se développe un nouveau racisme contre tout ce qui ressemble à un « jeune de banlieue » au sein même du mouvement, qui se marquerait par l’exclusion de fait de tout individu un peu bronzé ou habillé de telle ou telle façon. Il faut donc que cette sécurité soit conçue comme une « défense active », n’intervenant qu’en cas d’agression avérée, et uniquement contre des manifestants : il est en effet hors de question que la « casse » politique soit elle aussi stigmatisée, qu’on interdise de s’en prendre aux flics, ou aux symboles ou biens des dirigeants du système.

Une seule logique : face à l’Etat et aux patrons, la violence est toujours légitime, même si on peut discuter son opportunité ; contre les manifestants, contre le mouvement social, la violence n’est jamais acceptable, qu’elle provienne des flics ou de leurs auxiliaires de fait.

Alf
Section de Contre-Attaque à La Peur , Paris


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