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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°48 - Avril 2006Mouvement anti-CPE > De l’accident au collectif

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Un prealable a la convergence des luttes

De l’accident au collectif



Pour repenser le collectif, je pense qu’il faut commencer par désapprendre ce que l’on sait et par se défaire de nos réflexes militants qui nourrissent avant tout un milieu alors que nous devrions briser les lignes et pluraliser notre vision trop restreinte de l’engagement.

Dans le jargon militant, qui dit « convergences » dit « convergences entre collectifs de luttes, organisations ou syndicats » déjà constitués avec de forts principes d’inclusion et d’exclusion, lisibles ou implicites. Alors que pour parler de convergences, il me semble qu’il faut déjà partir des formes-de-vie collectives dans lesquelles nous sommes déjà impliqués et de l’ouverture aux nouvelles personnes intéressées. Pourquoi ça coince souvent pour l’intégration des « nouveaux » ?

Les organisations politiques sont aussi des liens organiques, affinitaires entre les individus. Les personnes se fréquentent également en dehors des actions, des réunions, font du théâtre militant ou vont à des concerts « alternatifs » jusqu’à créer un phénomène de « milieu militant ». Ce dernier exclura, sans le lui dire clairement, la personne qui n’a pas la bonne attitude ou la bonne formule militante, un peu comme ces textes censurés parce qu’on n’a pas écrit 15 fois « anticapitalisme » dedans...

Pourtant l’engagement ne se limite pas au militantisme, comme l’affirme Miguel Bensayag « nous sommes tous déjà engagés, reste à savoir dans quoi » (*)

S’ouvrir à une vision élargie de l’engagement est nécessaire pour trouver des convergences entre toutes formes de vie et d’activité. Par exemple, un groupe de précaires peut créer (et créé déjà) des liens avec, pêle-mêle, des artistes, assistances sociales, d’autres salariés, des associations culturelles afin de faire reculer leur propre précarité (qui n’est pas liée qu’au revenu mais réduit les existences à la survie) et de nourrir une implication politique au sens large, en prise avec toutes les strates de la réalité, de l’entente entre habitants d’un quartier à la possibilité de porter une lutte au cœur des administrations sociales qui, aujourd’hui, contrôlent, humilient, broient des millions de chômeurs... Si les chômeurs s’enferment dans leur catégorie, dans une identité unique, leur vie sera brisée.

Toutes les personnes que vous croisez dans la rue sont déjà engagées : dans leur famille, leurs activités salariales ou autres, les liens amicaux ou encore des associations, des démarches... Déjà engagées, mais dans quoi ? Pas forcément dans un acte ou un désir de vie collective qui cherche à en finir avec les oppressions, avec la précarité, etc. Les personnes peuvent tout aussi bien rester devant la télé ou être obnubilées par l’entretien de leur bagnole. Si aucun accident ne survient elles peuvent très bien laisser se dérouler l’ensemble de leur vie sans avoir l’impression d’une réelle prise avec la réalité. Un peu comme ces ouvriers qui au bout de vingt d’ans d’usine se réveillent avec la conscience cruelle d’être passé à côté de leur vie... Passer à côté de sa vie, une expression populaire qui contient beaucoup de choses.

Une action politique pourrait avoir pour rôle de provoquer des accidents dans le quotidien. L’accident n’est pas la révélation au travers d’un texte, ni un accrochage lors de l’occupation d’un lieu. C’est une rencontre. Il ne s’agit pas d’embrigader d’autres personnes mais de voir, au travers de leurs activités passées, les liens qui peuvent se créer avec un collectif humain plus large. A No Pasaran par exemple nous prenons conscience, au fil du temps, que les « sympathisants » préfèrent, souvent, s’intégrer au travers d’une cuisine autogéré que lors d’un débat ou d’une action dans un lieu public. Alors qu’elles n’auront pas l’habitude des deux dernières activités, du moins sous la forme qu’on propose, la cuisine permet de se servir de ce qu’on sait déjà faire et de prendre le temps de parler avec des autres. D’autres personnes rejoignent souvent via la solidarités envers les sans papiers, ou par prise de conscience du danger que représentent les idées d’extrême-droite. Les véritables rencontrent relèvent aujourd’hui d’un accident, d’un imprévu dans le sens où nos vies tendent à être prise dans un maillage de routines quotidiennes : le travail, les enfants, la manutention de la maison, la manutention relationnelle autour de loisirs commerciaux. A moins de déployer sa vie autour, la création est minorée.

Dans une société sous contrôle, où l’individualisme est prégnant, que les accidents permettent un redéploiement de la vie est un fait si rare que les groupes politiques devront parfois résumer en terme d’amorce. C’est-à-dire, de réfléchir à froid aux façons d’intégrer les « nouveaux » à nos activités. La question de l’amorce renvoie à la communication sur nos activités qui non seulement doit être lisible et le plus largement diffusé mais qui, en plus, doit être porté avec le maximum de passion dont on puisse faire preuve pour susciter l’adhésion. Si l’on ne croit pas soi-même à ce qu’on fait personne ne portera ce combat à notre place. Je ne parle pas de faire semblant d’être passionné mais de puiser nos forces dans les résistances et les solidarités qui existent déjà. De les chercher, de les trouver, et de dire que ces feux sont précieux. Il ne sert à rien de contempler l’abîme social, la question est plutôt de savoir ce qui peut en émerger, et de trouver celles et ceux qui ne sont pas tombé dans ses profondeurs.

Raphaël

* Abécédaire de l’engagement, M. Bensayag, Ed Fayard, 2004


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