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Paris - Chroniques sorbonnardes


Il ne s’agit pas ici d’un texte exhaustif revenant sur l’ensemble de la mobilisation parisienne mais plutôt d’une chronique subjective des événements survenus autour de ce qui est devenu la « Sorbonne en Exil », où plusieurs militantEs du Scalp-Reflex Paris sont investis.


Le jeudi 9 mars, un petit groupe de personnes décide d’occuper la Sorbonne. Il s’agit d’occuper un lieu symbolique, un lieu de savoir pour marquer une opposition à la tendance à la professionnalisation de l’Université. Le soir, environ 300 personnes rassemblées devant le bâtiment pour soutenir les occupants sont dispersées violemment par les CRS à coup de gaz lacrymogènes et de tonfas. Les premiers affrontements ont lieu dans le quartier latin, des barrières de chantier sont placées en travers du boulevard Saint-Michel.
Le lendemain, le recteur de Paris décide de fermer l’université aux étudiants. Un important dispositif policier empêche d’accéder à l’université et donc de relayer et de ravitailler les camarades restés à l’intérieur. Une AG se tient au centre Panthéon dans un amphi plein à craquer. La décision est prise de continuer l’occupation. Dans l’après-midi, profitant de ce qu’une fenêtre du rez de chaussée était accessible, environ 300 personnes s’y engouffrent après l’avoir forcée. Ensuite, la place de la Sorbonne se remplit petit à petit. L’ambiance est bon enfant jusqu’aux environs de 22h. La tension monte alors, au fur et à mesure que des projectiles sont lancés sur les CRS depuis les étages supérieurs de la Sorbonne. Au bout d’un moment, les projectiles fusent aussi depuis le rassemblement sur la place. Les CRS réagissent en gazant, le monde reflue sur le boulevard Saint Michel qui est barré par des tentatives de barricades. Des blocs de béton sont cassés et lancés sur les forces répressives qui reculent et ne dépassent pas la limite de la place. Les affrontements durent ainsi jusqu’à 3h du matin. À 4h, les occupants de la Sorbonne sont évacués par les CRS. Depuis lors, la Sorbonne reste fermée.
Mardi 14 mars, un rassemblement a lieu dans la soirée devant la Sorbonne toujours bloquée. Le FNJ a prévu d’attaquer le rassemblement. C’est effectivement ce qui se passe. Ils sont finalement repoussés, protégés par la police qui les a laissé approcher... (cf. article de Taz). De sérieux affrontements s’ensuivent avec les forces de l’ordre.
Jeudi 16 mars, une manifestation massive se déroule entre la place d’ Italie et Sèvres-Babylone, mais les cortèges sont très disséminés avec des écarts énormes, parfois une demi heure entre eux.
La coordination francilienne des facs en lutte, associée aux intermittents, avait organisé une action en direction du salon de l’étudiant porte de Versailles, le soir de son inauguration par Gilles de Robien. La réalisation de cette action a montré la difficulté des facs parisiennes, et notamment de la Sorbonne, à travailler ensemble, l’action étant présentée au sein de l’AG de la Sorbonne comme une action des intermittents, et non une action organisée par les étudiants. Le salon devra tout de même fermer ses portes pour la soirée.

La tension monte

À Sèvres-Babylone, la police, qui avait été omniprésente tout au long du parcours, ferme toutes les issues. De violent affrontements ont lieu pendant un bon moment au milieu des gaz. Une bonne partie des manifestants décide alors de se replier vers la Sorbonne, les fafs ayant d’ailleurs annoncé leur intention de revenir ce soir-là (cf. article de Taz).
La préfecture avait pré-positionné trois canons à eau sur la place de la Sorbonne. Il en est fait usage ainsi que des gaz, une fois de plus. Les manifestants répondent par des jets de projectiles divers, et l’incendie ou le retournement de plusieurs voitures pour stopper l’avancée des forces répressives. Le bon millier de personnes rassemblées est finalement repoussé dans une petite rue et doit se disperser. Ensuite, réduits à de petits groupes, ils sont la cible de la police qui effectue sans trop de problèmes des arrestations. À cette occasion, on a pu voir les policier faire usage de pistolets de paint-ball pour marquer à la peinture les personnes à arrêter.

Face à l’exil de la Sorbonne, l’EHESS ?

Vendredi 17 mars, la Sorbonne en exil, décide de tenir son AG à Censier. On discute de la nécessité d’avoir un lieu fixe où l’on puisse tenir nos AG et avoir des discussion politiques plus larges. On nous parle de la possibilité d’être hébergés pendant la journée dans un bâtiment de l’École Normale Supérieure (ENS) de la rue d’Ulm. Rendus sur place, la discussion s’empêtre un peu sur la question d’une occupation simplement diurne ou d’une occupation sans limitation de durée et d’horaires.
Dans le même temps, toujours dans l’idée de trouver un lieu d’accueil stable, des contacts ont été pris avec des étudiants de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) qui ont réussi à se mobiliser contre la loi sur « l’égalité des chances » et qui bloquaient l’école.
Lundi 20 mars, nous nous sommes donc rendus sur place et une AG s’y est tenue. La question, là encore, était celle de la forme de l’occupation. La direction, sollicitée par les étudiants de l’école était d’accord pour accueillir la Sorbonne, ses AG et des débats jusqu’à 20h mais pas au-delà. Or, on a dû faire face, à ce moment là, à une incompréhension, ou du moins à une différence de compréhension sur la signification du terme occupation. En effet, pour un certain nombre des personnes présentes à cette AG (dont peu étaient encore étudiants, d’ailleurs, mais bien connus dans la mouvance autonome parisienne), une occupation ne pouvait se concevoir comme seulement diurne.
C’est donc l’occupation immédiate qui fut décidée, malgré les réticences des étudiants de l’EHESS. L’idée était de faire de ce lieu un pôle de convergence des luttes qui dépasserait la la loi sur « l’égalité des chances » dont fait partie le CPE. Dans la journée, des discussions informelles eurent lieu un peu partout dans l’établissement, mêlant étudiants et non-étudiants. La plupart étaient heureux de la façon dont les choses commençaient à se passer. Dans l’optique d’une convergence des luttes et puisque c’est ce que nous tentons de faire chaque fois que cela semble possible, nous nous sommes dit qu’il fallait tenter de faire partie de cette expérience. C’est pour cette raison que nous avons proposé de mettre la Cuisine No Pa à disposition de l’occupation. Ce fut fait le soir même et sur les coups de 2h du mat, nous avions fait, avec l’aide des gens présents, de la bouffe pour près de 200 personnes.
Le lendemain, une AG était convoquée à 19h pour déterminer la direction à donner à cette occupation. Or, ce que l’on pu y voir a confirmé les inquiétudes que nous pouvions avoir quant à la tournure que pourraient prendre les choses : une AG sans ordre du jour, sans tours de paroles (jugés anti-démocratiques) mais avec des « grandes gueules » qui invectivaient et intimidaient l’assistance et des phrases telles que celle-ci : « C’est pas une assemblée démocratique, c’est une assemblée de lutte. Si tu n’es pas d’accord avec la lutte, tu dégages ! » L’intimidation et le passage en force. Avec cela, il était peu envisageable que ce lieu devienne un vrai lieu de convergence des luttes, sachant que nous n’avions pas le rapport de force suffisant pour nous opposer réellement à la tendance autoritaire de la poignée d’individuEs persuadéEs de détenir la seule vérité révolutionnaire et prêtEs à l’imposer aux autres par la force au besoin. Décision fut donc prise de remballer la cuisine au plus vite, ce qui fut fait dès le lendemain matin. La suite est assez conforme à ce qui a pu être écrit dans la presse bourgeoise.
Finalement, les derniers occupants ont été délogés par la police vendredi matin vers 6h. Dans l’après midi, une assemblée générale des « occupants de l’EHESS » s’est tenue à Tolbiac, au cours de laquelle aucune remise en cause de la manière dont s’était passée l’occupation n’a eu lieu. Les choses sont tellement plus simples quand on est pétri de certitudes !
Quelques notes positives tout de même : parallèlement à cela, et sans grande prétention, des étudiants de la Sorbonne ont décidé d’organiser, de manière autonome, des débats et des projections au cours des jours et des semaines à venir. Ainsi, des films tels que Punishment Park de Peter Watkins ou encore Sans toit ni loi d’Agnès Varda, seront projetés, des discussions autour la précarisation de la société, de la criminalisation de groupes spécifiques tels que les prostituées seront organisées. Le tout, avec la volonté d’élargir la lutte.

Anthropos, Sorbonnard Carrément Attaché à Libérer Paris (I, II, III, IV, V VI, VII, VII, IX, X, XI, XII et XIII) !

OCCUPATION DE LA SORBONNE (temoignage)

Pour Paris V - Sorbonne, tout a commencé une calme journée début mars suite à l’appel de quelques étudiants mobilisés de l’EHESS. Un petit groupe se décide à tenter la sensibilisation au mouvement social, l’espoir est mince, mobiliser la Sorbonne ?
Et pourtant...
Un tract est rédigé. Des interventions se font dans les amphis, dans les cours. Nous apprenons l’existence d’un autre groupe sur la Sorbonne, les forces se rassemblent, la mobilisation s’étend. Une première AG a lieu lundi 6 mars amphi Durkheim à la Sorbonne. _ Le mercredi, une table d’information est dressée à la Sorbonne. L’amphi Descartes est bondé, le blocage et la grève sont votés. Le soir, quelques centaines d’étudiants passent leur première nuit sur des bancs inconfortables.
À l’AG du lendemain, l’amphi déborde d’étudiants par les fenêtres ouvertes pour l’occasion. La poursuite de l’occupation nocturne ainsi qu’une action dans l’après-midi sont votées. Moins d’une centaine d’étudiants resteront sur place pendant que les autres se dirigeront vers l’Arc de Triomphe... à leur retour, ils ne trouveront que des portes fermées et barrées par une colonne de gardes mobiles.
De coup de fil en aiguille, une foule agitée (grâce notamment à la fanfare des Arts Déco) mais pacifique s’amasse sous les fenêtres de la Sorbonne. Après quelques heures et quelques manœuvres des forces dites « de l’ordre », une charge « disperse » (art de l’euphémisme) les manifestants. Sonnés par ce spectacle observé des premières loges, les occupants passeront une nouvelle nuit peu reposante...
Pour la suite des événements, je laisse la parole à quelques amis ayant partagé cet épisode de camping estudiantin.

Un vendredi à la Sorbonne, fragments.
7h00 : Nous sommes encore une cinquantaine dans la Sorbonne, fatigués, attendant une relève. Beaucoup des étudiants ayant participé à la manifestation autour du bâtiment, dispersée jeudi soir par la police, attendent sur la place de la Sorbonne l’ouverture des portes pour participer à l’AG prévue à midi. Nous négocions avec le recteur, M. Quénet.
10h30 : Après vote, nous acceptons sa proposition : enlever les barricades formées dans la Sorbonne en échange de son ouverture aux étudiants. Notre part du contrat remplie, nous discutons avec les personnels administratifs présents et recevons la visite de quelques-uns de nos professeurs.
12h00 : Toujours sans réponse du recteur, nous apprenons par téléphone que l’AG se tiendra finalement au Panthéon. Nous y envoyons une délégation.
12h30 : Le recteur réapparaît parmi les agents de sécurité, nous invitons le journaliste de M6 à qui nous accordions une interview à lui demander directement sa décision quant à l’ouverture des portes. M. Quénet quitte les lieux sans un mot.
14h30 : Nous apprenons que l’AG a voté le maintien de l’occupation et que de nouvelles manifestations ont lieu dans le quartier latin.
17h00 : Alors que nous organisons des groupes de travail pour le week-end (réflexion sur une proposition alternative à la loi sur l’égalité des chances), les agents de sécurité, inquiets, nous informent qu’ils évacuent le bâtiment en raison d’une alerte à la bombe. Après une vérification de tous les sacs, nous décidons de ne pas quitter les lieux et nous rassemblons dans la Cour d’Honneur.
17h20 : L’alerte a été démentie, mais nous voyons les agents de sécurité se déployer rapidement. Nous ne comprenons pas ce qui se passe. Quelques minutes plus tard, un flux continu d’étudiants se précipite vers la Cour d’Honneur. Nous sommes à présent plusieurs centaines.
Une AG se met difficilement en place tandis qu’une barricade est construite spontanément nous séparant des agents de sécurité avec qui nous entretenions de bons rapports. L’un d’entre eux nous fait comprendre qu’ils ne peuvent plus assurer la sécurité du lieu qui se retrouve désormais sous la seule responsabilité de la police.
Progressivement, une certaine organisation prend forme dans l’AG. Sont successivement votés : la souveraineté de l’AG, la résistance pacifique en cas d’intervention des forces de l’ordre et l’occupation des lieux jusqu’au retrait du CPE et l’ouverture totale de la Sorbonne aux étudiants.
La succession de rumeurs alarmistes sur la présence de « casseurs » ou de « fascistes » dans la Sorbonne ainsi que sur l’arrivée imminente des forces de l’ordre entraînent un débat chaotique sur les modalités d’occupation. Certains appellent à la création d’un service d’ordre qui se met en place dans la précipitation, sans concertation ni débat.
Massivement entouré de journalistes, M. Mélenchon, sénateur socialiste, fait irruption dans l’amphithéâtre à la surprise générale, mettant fin aux discussions engagées. Une foule hétérogène s’agglutine autour de la tribune que M. Mélenchon essaie d’investir. Certains le bousculent, d’autres le protègent, beaucoup appellent au calme et proposent de le laisser s’exprimer ou de voter sur cette éventualité. Finalement, le sénateur décide de partir et les risques de récupération du mouvement sont évoqués sans qu’un débat puisse être instauré. Cette auto-invitation a semé la discorde, créant un climat de tension et compromettant l’organisation de la suite de l’occupation.
À partir de ce moment, il devient impossible de donner un récit cohérent car il n’y a plus un événement qui rassemble la majorité mais une multitude de petits groupes qui circulent et s’occupent chacun à leur manière : jeux de cartes dans les couloirs, ouverture de distributeurs, discussions et piano dans l’amphithéâtre Richelieu, groupes de travail sur les textes dans les salles de TD, inscriptions à la craie sur les murs, promenades nocturnes dans la Sorbonne, tracts de l’UNI brûlés dans la Cour d’Honneur... ici un appel est lancé à monter dans la bibliothèque des étages supérieurs afin d’empêcher le jet de matériel par les fenêtres.
Dans cette bibliothèque, tandis que certains jettent échelles, tables, extincteurs sur les forces de l’ordre postées en contrebas, d’autres restent plongés dans leur lecture. Au milieu, des affrontements ont lieu entre ceux qui jettent des projectiles sur la police et ceux venus pour empêcher la dégradation de la bibliothèque et en particulier de ses livres. Ceux-ci seront ensuite protégés par les occupants.
Pendant ce temps, quelques étudiants discutent du CPE dans l’appartement du recteur en buvant ses bonnes bouteilles. Ils ne manqueront pas de lui laisser un mot de remerciements.

Quelques occupants de la Sorbonne, le 12 mars 2006.


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