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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°37 - Février 2005 > Un mouvement social mal engagé ?

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Un mouvement social mal engagé ?



D’après les médias 300.000 personnes, sans doute bien plus, auraient défilé le jeudi 20 janvier dans la plupart des villes de l’hexagone. A priori nous devrions nous réjouir sans retenue de cette hirondelle avant l’heure, prémisse d’un mouvement social plus important selon certains. Seulement voilà, les revendications corporatistes, le manque de convergence en pratique et le raisonnement en journée d’actions, sans appel massif à la grève illimitée (hormis Sud Rail, la CNT) semblent indiquer que ce mouvement risque encore une fois de tourner en eau de boudin
Les postiers se battent pour éviter la privatisation totale de La Poste d’ici 2009. Dans certains tracts (SUD ou CNT) on peut lire des notions de services publiques, d’égalité zone rurale / urbaine loin du souci de rentabilité maximum. A ce sujet-là la transformation de la Poste allemande est éloquente : 50.000 emplois supprimés en 15 ans, des zones rurales ou urbaines entières sans relais postal, qui coïncident avec les zones pauvres, d’apartheid social. Ces poches de misère ont été construites et mises en place par l’Etat pour stratifier la société, séparer la population et créer une peur permanente chez les salariés moins mal lotis (en cas d’accident de parcours, on risque de se retrouver en HLM de banlieue pauvre etc., une punition (?)). La peur de dégringoler paralyse la force de gravir.

Des revendications essentiellement corporatistes

A la SNCF le mouvement apparaît comme beaucoup plus corporatistes. Les syndicats, certes, se battent pour éviter 4.000 suppressions d’emploi dans la région Île de France notamment. Et pour la défense du statut. Mais les syndicalistes du rail restent arc-boutés sur leur voie à sens unique. Ils demandent la compréhension et le soutien des usagers, d’accord, mais combien d’entre eux s’opposent à la répression des sans-tickets, qui peuvent encourir 6 mois de prisons fermes et 7.500 euros d’amende ? La SNCF collabore activement à la traque des sans-papiers, des contrôleurs pouvant aller jusqu’à demander des papiers d’identités à des voyageurs noirs, alors qu’ils ont un billet valide Sans parler de la collaboration étroite de ces mêmes salariés avec la PAF. Qui se bat contre ça ? Lors des réunions préparatoires aux
campagnes de transports gratuits, la CGT cheminots ou SUD rail soit ne nous répondaient pas, soit nous affirmaient que ce n’était pas leur problème Idem lorsque les tarifs augmentent : les syndicats restent silencieux. Une mauvaise langue me souffle que le train est gratuit pour les cheminots, alors le reste, qu’est ce qu’on s’en fout, n’est-ce pas hein ?

La palme du corporatisme (et d’un égoïsme qui confine à l’autisme social) peut également être décernée à la FSU, qui demande des augmentations de salaires dans l’Education nationale uniquement pour les échelons les plus haut, au-delà de 260. Le projet Fillon n’est pas interrogé par ce syndicat, alors qu’il vise à rendre utilitariste l’Education nationale, en permettant une meilleure adéquation avec les besoins immédiats des entreprises dans un bassin d’emploi donné Pire, un ponte de la FSU éructait même à France Inter contre la notion de liberté pédagogique, prétextant que les enseignants n’avaient pas besoin de liberté et que cette liberté allait créer des inégalités (sic  !). Là encore, la question des besoins des élèves est totalement évacuée Ils n’ont qu’à suivre les cours magistraux et obéir Grandir, c’est apprendre à courber la tête sur la copie sans se poser de questions, t’as juste besoin de savoir ça.
Au mieux le mouvement syndical qui s’exprimait les 18,19 et 20 janvier vise à préserver le statu quo, avec le maintient de l’emploi et quelques points d’augmentations de salaires en plus. Mêmes les rares forces syndicales qui défendaient autre chose faisaient passer la notion de service public, d’utilité sociale du travail, de la relation avec l’usager-e, au second plan. Lorsqu’ils en parlaient. Des copains et copines syndicalistes trouveront peut-être que j’exagère, mais quelle est la définition du service public de leur syndicat, ou la leur ? Au-delà des mots, pour quoi la majorité des salarié-e-s se battent-ils ? Pour la gratuité et l’accès à tous des services fondamentaux ? Ou seulement pour préserver leur confort immédiat ? Ce qui est choquant ce n’est pas que les syndicats défendent des acquis sociaux durement gagnés, c’est qu’il n’y a rien au-delà de ça.
L’échec de ce mouvement, comme celui du printemps 2003, est-il programmé  ? Fort possible, du moment que l’appel à des conver
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20 janvier à Paris. cP. Leclerc
gences privé/public reste sur la base de vagues incantations et ne s’appuient pas sur des liens humains, et syndicaux, réels. Croire qu’il suffit de demander aux ouvriers de sortir dans la rue pour qu’ils le fassent, sans vivre leur situation, ou sans avoir créée au préalable des liens avec eux, revient à s’enfermer dans un monde imaginaire
Les mouvements sociaux sont déjà joués avant le jour J : lorsqu’au quotidien on ne se bat que pour soi, il ne faut pas s’étonner qu’après personne d’autres ne suive.

Redéfinition du travail : de l’individualisation à la question du lien social
Au sujet de l’éducation la loi Fillon est attaquée sur la question des moyens et des suppressions de postes. Les syndicats se battent à juste titre contre les nouvelles cartes scolaires, la suppression de postes et la remise en cause pernicieuse de la maternelle. Par contre toute notion de contenu de l’enseignement, des relations parents / professeurs / élèves est évacuée : on n’entend plus les syndicats lorsqu’il s’agit d’instituer un socle fondamentale, de redessiner les contours du savoir au service de l’utilitarisme économique. Ou il ne s’agira bien souvent que de la stricte défense de son pré carré : les profs de sciences écos ne voudront pas que leur poste soit remis en question etc. A quel moment le programme des sciences écos est-il questionné, dans le fait par exemple que cette matière présente le capitalisme comme un système économique généreux et redistributif, malgré quelques couacs (sic !) ?
En d’autres termes, comment peut-on travailler 40 ans (au moins) sans jamais remettre en question ce que l’on fait et sans penser l’utilité sociale de son travail ?

Si ces mouvements sociaux apparaissent si peu désirables à la population, ce n’est pas tant à cause du miroir déformant des médias que du manque de perspectives globales : les syndicats ne font rien pour que la population ne se sente concernée. Par exemple, les syndicats de l’éducation nationale ne remettent pas en cause le regain d’autorité qu’offre aux professeurs la loi Fillon : dans la question du redoublement, ou celle de la minorisation du rôle des associations de parents d’élèves, etc.
Le lien social, qui devrait être au cur de la notion de service public, est ainsi purement et simplement évacué : chacun fait son travail, encaisse son salaire Obéit. Dans son coin.
Bien sûr, c’est la privatisation, ou tout du moins la commercialisation de ces mêmes services qui en sont aussi la cause mais la résistance ne peut commencer qu’au quotidien : avec un autre rapport avec son travail, en interrogeant individuellement et collectivement les orientations de sa boîte et en résistant pied à pied.
Comment redéfinir son travail ? Pour un professeur cela peut consister à s’appuyer sur des associations culturelles, alternatives Pour un syndicat de cheminots, rencontrer des associations de chômeurs et faire des actions communes pour réclamer la gratuité, contre la répression. La redéfinition ne peut pas s’appuyer que sur les forces de personnes isolées on finirait par être broyé par la machine - mais par la création de liens.
Nous reviendrons sur des exemples précis le mois prochain, ainsi que sur la question essentielle : comment agir au quotidien ?

Raphaël

(Lecture conseillée : Abécédaire de l’engagement, Miguel Benasayag, Ed. Fayard)


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