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> Dix ans après le génocide au Rwanda : toujours la même politique française en Afrique !
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Dix ans après le génocide au Rwanda : toujours la même politique française en Afrique !
Fort opportunément, on
s’indigne beaucoup en France de
l’impérialisme américain, et on oublie
volontiers par contre que la France sait également fort
bien faire régner la terreur au-delà de ses
frontières. De fait, dans le monde entier, de
l’Asie à l’Amérique en passant par la
Turquie, la France garde une image enviable de pays promoteur
des Droits de l’Homme, de terre d’asile
humaniste
Pourtant,
la réalité est tout autre, et notre petit
pays fait largement autant de dégâts
à l’échelle internationale que
l’Oncle Sam ! Passons sur sa politique de soutien
à la junte birmane ou aux dictatures laotienne
ou chinoise, ou encore à la plupart des
démocratures d’Amérique latine, et
évoquons simplement ses interventions en Afrique
: l’association Survie estime à près de 10
millions de morts, dans les dix dernières
années, le nombre des victimes directes
(assassinats, massacres, génocides) des
politiques de l’État français, sans
parler des « morts indirectes » (famines,
épidémies, absences de soins, etc., dues
notamment au fait que les économies africaines
sont pillées, dévastées, et sont
aujourd’hui exsangues).
Depuis près de cinquante
ans, la géopolitique française en Afrique
se résume essentiellement à
l’exploitation unilatérale des ressources
naturelles des pays prédatés. Les profits
sont immenses. C’est pourquoi les armes importent
peu : manipulations, corruption, meurtres,
déportations, guerres. Emprisonnements,
tortures, viols, disparitions forcées, loteries
aux amputations, destructions de régions
entières : tout est valable pour asseoir son
pouvoir, pour mettre la main sur telles ou telles
richesses.
Je ne prendrais comme exemple ici,
en un rapide survol, que les complicités
françaises dans le génocide au Rwanda,
qui sont tout à fait emblématique de la
politique de l’État français sur le
« continent noir ». Il semblerait que nos
gouvernants aient à toute force voulu garder
sous leur coupe « le pays des mille collines »,
essentiellement pour des raisons
géostratégiques (notamment la
proximité avec ce qui était encore le
Zaïre, et sans doute la volonté d’y
établir une importante base militaire),
prêts à soutenir activement les pires
atrocités du moment qu’elles semblaient
à même de garantir leur main-mise sur la
région.
Rwanda 1994, le dernier
génocide du XXe siècle : d’ avril
à juin, la tentative d’une « solution
finale » qui liquidera plus d’un million de
Tutsi et des dizaines de milliers de Hutu
accusés d’être leurs complices. Une
grande partie des victimes ont été
torturées abominablement avant
d’être éliminées. Les armes
ont été achetées avec le soutien
financier de l’Héxagone, qui a
également financé le renforcement de
l’armée rwandaise génocidaire, et
dont des officiers ont vraisemblablement
entraîné les milices meurtrières.
Des membres de l’armée française
étaient présents au Rwanda pendant les
massacres et selon plusieurs témoignages
semblent parfois y avoir pris part directement.
Notamment, des survivants témoignent de ce que
l’armée française s’est
rendue dans des poches de résistance pour
inviter les rescapés à sortir de leur
cachette pour bénéficier de sa protection
; les génocidaires les ont
massacrés
De fait, pendant tout le temps que
dure l’extermination, la France soutient
clairement le régime en place : le gouvernement
génocidaire se constitue au sein même de
l’ambassade française ! François
Mitterand, qui suit jour après jour toute
l’affaire, déclare à ses proches au
cours de l’été 1994 : « dans
ces pays-là, un génocide, ce n’est
pas trop important » (rapporté dans Le Figaro du
12 janvier 1998). La France et d’autres pays du
Conseil de sécurité obtiennent de
l’ONU qu’elle retire ses troupes du Rwanda,
au moment même où elles auraient pu
enrayer l’entreprise d’extermination ;
puis, lorsque les génocidaires doivent
militairement battre en retraite, c’est encore la
France qui envoie une force armée
d’interposition (c’est
l’opération Turquoise) qui leur permet de
s’enfuir et de continuer à massacrer dans
les zones qu’elle contrôle ! La tristement
célèbre « Radio des mille collines »
y continue d’émettre en toute
impunité des appels à « finir le
travail », pendant que les camions militaires
français transportent les responsables rwandais.
La complicité des
médias français à cette politique
est généralisée : aussi longtemps
que cela restera possible, il n’y aura aucune
fausse note dans un concert de légitimation de
ce « nazisme tropical », dont un ministre
est accueilli en France bras ouverts dans le même
temps que d’innombrables charniers se
remplissent, que les fleuves charrient des dizaines de
milliers de cadavres Après le
génocide, la France (ainsi d’ailleurs que
le Vatican, très actif lui aussi) sauve et
accueille des génocidaires et se fait
l’écho des thèses
révisionnistes, voire négationnistes. Si
l’État français (et le Vatican)
n’étaient pas
dominants sur la scène
internationale, leurs responsables (c’est-à-dire
notamment « nos » élus !) seraient
peut-être traduits en justice pour crimes contre
l’humanité ! Mais s’ils
n’étaient pas d’emblée assurés
de l’impunité, du contrôle des médias
et des instances internationales, ils ne se seraient de toute
évidence pas lancés dans cette
aventure
Pourquoi les militants français se
penchent-ils si peu sur la politique de leur État ?
Pourquoi ne la connaissent-ils pas ? Pourquoi, lorsqu’ils
en prennent connaissance, ne créent-ils pas des
comités d’action ? On parle bien plus des
politiques étrangères des États-Unis ou
d’Israël, non seulement dans les médias
nationaux, mais aussi dans les médias
indépendants, alternatifs. Une telle dénonciation
sélective frise la complicité ! Bien sûr,
il y a tout bonnement le fait qu’il n’existe plus
véritablement de grands médias
indépendants diffusés à large
échelle, jouissant d’une reconnaissance de la part
de la population et susceptibles de ce fait de contribuer
à forger une « opinion publique » non
dominée. Mais peut-être aussi avons-nous tous et
toutes intégré une forme de racisme inconsciente,
une vision notamment de l’Afrique comme un continent
fondamentalement incapable, où les moindres anicroches
nationales, ethniques ou religieuses sont prétextes
à des massacres généralisés. Une
telle vision de l’Afrique est d’ailleurs
fréquemment ressassée par « nos »
politiciens et journalistes. Ce racisme prend peut-être
aussi plus prosaïquement la forme d’un
désintérêt global pour ce qui se passe en
Afrique, jugé trop étranger à nos
réalités pour qu’on s’attache
à le décrypter De toute évidence
notre population toute baignée de démocratie
n’est pas pressée de savoir. Nommer
démocratie un régime capable de mettre des moyens
considérables dans des politiques immensément
criminelles pendant des décennies (car le cas du Rwanda
n’est hélas qu’une parfaite illustration de
cinquante ans de politique française ordinaire dans les
ex-colonies), sans que les
gouvernés ne le sachent
ni ne cherchent à le savoir, et encore moins à
réagir, pose des questions de fond.
Aujourd’hui que le voile de silence
se déchire un peu, aucune formation politique ne semble
vouloir considérer comme une urgence absolue de mettre
le paquet sur une dénonciation de ces
monstruosités. Pourtant, la question de la politique de
notre pays est de première importance et doit devenir
publique.
Si des pratiques telles que ce soutien
concret au régime génocidaire rwandais perdurent
depuis si longtemps, si on en retrouve de similaires (bien que
souvent moins dévastatrices) dans presque tous les
pays occidentaux, c’est parce que
les institutions politiques de ces pays les permettent, voire
les favorisent. Dans ces conditions, tolérer ce
système, c’est non seulement renoncer à
décider pour soi-même, mais c’est aussi
tolérer que des crimes comme le soutien au gouvernement
génocidaire rwandais soient commis. Lutter ici et
maintenant, clamer publiquement notre refus, lancer des
campagnes d’actions, est ainsi une
nécessité qui peut s’avérer vitale
pour les millions de personnes qui sont aujourd’hui
à la merci de nos dirigeants. Si nous ne faisons rien,
nous pouvons être sûr que des
événements similaires se reproduiront. La lutte
doit se développer aussi dans les métropoles
impérialistes.
Aujourd’hui, pratiquement seule
l’association Survie travaille vraiment sur la question, mais que
peut-elle si personne ne se soucie de relayer
l’information ? D’autant que nous pourrions aussi
avoir un mot à dire (nous avons aussi, par ailleurs, de
graves questions à nous poser quant à notre si
long silence) : il serait dommage (!) que seul un
discours citoyenniste émerge. N’est-il pas temps
de réagir ?
Yves Bonnardel et Sem Laforêt
En adaptant librement des textes de Survie et la
postface de Un génocide sans
importance (J.-P. Gouteux,
éd. tahin party, 2002, téléchargeable
gratuitement sur le site des éditions : http://tahin-party.org/ ), avec leur accord. On peut aussi pour de plus
amples informations sur la politique française depuis la
« décolonisation », lire F.-X. Verschave, Françafrique : le crime continue, disponible sur le même site.
Pour de plus amples infos aller par
exemple sur le site de Survie : http:
//www.survie-france.org/ et sur
ceux des divers Survie régionaux ; on trouvera
également le rapport récent de la « Commission
d’Enquête Citoyennepour la vérité sur
l’implication française dans le génocide »
sur : http:
//www.enquete-citoyenne-rwanda.org/
; cette CEC publie ses rapports ce mois-ci !!!
A signaler aussi la très
intéressante revue Afrique
XXI, « revue des alternatives
africaines », fondée entre autres par la CNT et
qu’on peut se procurer à son adresse (c/o CNT, 33
rue des Vignoles, 75020 Paris).
Il existe en outre une liste de discussion
sur internet, pour discuter et préparer des
interventions dans une optique libertaire ; elle reste
hélas peu active ; n’hésitez pourtant pas
à vous inscrire : neocolonialisme_france-subscribe@yahoogroupes.fr
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