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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°37 - Février 2005 > Dix ans après le génocide au Rwanda : toujours la même politique française en Afrique !

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Dix ans après le génocide au Rwanda : toujours la même politique française en Afrique !



Fort opportunément, on s’indigne beaucoup en France de l’impérialisme américain, et on oublie volontiers par contre que la France sait également fort bien faire régner la terreur au-delà de ses frontières. De fait, dans le monde entier, de l’Asie à l’Amérique en passant par la Turquie, la France garde une image enviable de pays promoteur des Droits de l’Homme, de terre d’asile humaniste
Pourtant, la réalité est tout autre, et notre petit pays fait largement autant de dégâts à l’échelle internationale que l’Oncle Sam ! Passons sur sa politique de soutien à la junte birmane ou aux dictatures laotienne ou chinoise, ou encore à la plupart des démocratures d’Amérique latine, et évoquons simplement ses interventions en Afrique  : l’association Survie estime à près de 10 millions de morts, dans les dix dernières années, le nombre des victimes directes (assassinats, massacres, génocides) des politiques de l’État français, sans parler des « morts indirectes » (famines, épidémies, absences de soins, etc., dues notamment au fait que les économies africaines sont pillées, dévastées, et sont aujourd’hui exsangues).

Depuis près de cinquante ans, la géopolitique française en Afrique se résume essentiellement à l’exploitation unilatérale des ressources naturelles des pays prédatés. Les profits sont immenses. C’est pourquoi les armes importent peu : manipulations, corruption, meurtres, déportations, guerres. Emprisonnements, tortures, viols, disparitions forcées, loteries aux amputations, destructions de régions entières : tout est valable pour asseoir son pouvoir, pour mettre la main sur telles ou telles richesses.
Je ne prendrais comme exemple ici, en un rapide survol, que les complicités françaises dans le génocide au Rwanda, qui sont tout à fait emblématique de la politique de l’État français sur le « continent noir ». Il semblerait que nos gouvernants aient à toute force voulu garder sous leur coupe « le pays des mille collines », essentiellement pour des raisons géostratégiques (notamment la proximité avec ce qui était encore le Zaïre, et sans doute la volonté d’y établir une importante base militaire), prêts à soutenir activement les pires atrocités du moment qu’elles semblaient à même de garantir leur main-mise sur la
région.

Rwanda 1994, le dernier génocide du XXe siècle : d’ avril à juin, la tentative d’une « solution finale » qui liquidera plus d’un million de Tutsi et des dizaines de milliers de Hutu accusés d’être leurs complices. Une grande partie des victimes ont été torturées abominablement avant d’être éliminées. Les armes ont été achetées avec le soutien financier de l’Héxagone, qui a également financé le renforcement de l’armée rwandaise génocidaire, et dont des officiers ont vraisemblablement entraîné les milices meurtrières. Des membres de l’armée française étaient présents au Rwanda pendant les massacres et selon plusieurs témoignages semblent parfois y avoir pris part directement. Notamment, des survivants témoignent de ce que l’armée française s’est rendue dans des poches de résistance pour inviter les rescapés à sortir de leur cachette pour bénéficier de sa protection  ; les génocidaires les ont massacrés
De fait, pendant tout le temps que dure l’extermination, la France soutient clairement le régime en place : le gouvernement génocidaire se constitue au sein même de l’ambassade française ! François Mitterand, qui suit jour après jour toute l’affaire, déclare à ses proches au cours de l’été 1994 : « dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important » (rapporté dans Le Figaro du 12 janvier 1998). La France et d’autres pays du Conseil de sécurité obtiennent de l’ONU qu’elle retire ses troupes du Rwanda, au moment même où elles auraient pu enrayer l’entreprise d’extermination ; puis, lorsque les génocidaires doivent militairement battre en retraite, c’est encore la France qui envoie une force armée d’interposition (c’est l’opération Turquoise) qui leur permet de s’enfuir et de continuer à massacrer dans les zones qu’elle contrôle ! La tristement célèbre « Radio des mille collines » y continue d’émettre en toute impunité des appels à « finir le travail », pendant que les camions militaires français transportent les responsables rwandais.
La complicité des médias français à cette politique est généralisée : aussi longtemps que cela restera possible, il n’y aura aucune fausse note dans un concert de légitimation de ce « nazisme tropical », dont un ministre est accueilli en France bras ouverts dans le même temps que d’innombrables charniers se remplissent, que les fleuves charrient des dizaines de milliers de cadavres Après le génocide, la France (ainsi d’ailleurs que le Vatican, très actif lui aussi) sauve et accueille des génocidaires et se fait l’écho des thèses révisionnistes, voire négationnistes. Si l’État français (et le Vatican) n’étaient pas
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Action à Angers, contre l’oubli 1994-2004.
dominants sur la scène internationale, leurs responsables (c’est-à-dire notamment « nos » élus !) seraient peut-être traduits en justice pour crimes contre l’humanité ! Mais s’ils n’étaient pas d’emblée assurés de l’impunité, du contrôle des médias et des instances internationales, ils ne se seraient de toute évidence pas lancés dans cette aventure

Pourquoi les militants français se penchent-ils si peu sur la politique de leur État ? Pourquoi ne la connaissent-ils pas ? Pourquoi, lorsqu’ils en prennent connaissance, ne créent-ils pas des comités d’action ? On parle bien plus des politiques étrangères des États-Unis ou d’Israël, non seulement dans les médias nationaux, mais aussi dans les médias indépendants, alternatifs. Une telle dénonciation sélective frise la complicité ! Bien sûr, il y a tout bonnement le fait qu’il n’existe plus véritablement de grands médias indépendants diffusés à large échelle, jouissant d’une reconnaissance de la part de la population et susceptibles de ce fait de contribuer à forger une « opinion publique » non dominée. Mais peut-être aussi avons-nous tous et toutes intégré une forme de racisme inconsciente, une vision notamment de l’Afrique comme un continent fondamentalement incapable, où les moindres anicroches nationales, ethniques ou religieuses sont prétextes à des massacres généralisés. Une telle vision de l’Afrique est d’ailleurs fréquemment ressassée par « nos » politiciens et journalistes. Ce racisme prend peut-être aussi plus prosaïquement la forme d’un désintérêt global pour ce qui se passe en Afrique, jugé trop étranger à nos réalités pour qu’on s’attache à le décrypter De toute évidence notre population toute baignée de démocratie n’est pas pressée de savoir. Nommer démocratie un régime capable de mettre des moyens considérables dans des politiques immensément criminelles pendant des décennies (car le cas du Rwanda n’est hélas qu’une parfaite illustration de cinquante ans de politique française ordinaire dans les ex-colonies), sans que les gouvernés ne le sachent ni ne cherchent à le savoir, et encore moins à réagir, pose des questions de fond.
Aujourd’hui que le voile de silence se déchire un peu, aucune formation politique ne semble vouloir considérer comme une urgence absolue de mettre le paquet sur une dénonciation de ces monstruosités. Pourtant, la question de la politique de notre pays est de première importance et doit devenir publique.

Si des pratiques telles que ce soutien concret au régime génocidaire rwandais perdurent depuis si longtemps, si on en retrouve de similaires (bien que souvent moins dévastatrices) dans presque tous les
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Action à Angers, contre l’oubli 1994-2004.
pays occidentaux, c’est parce que les institutions politiques de ces pays les permettent, voire les favorisent. Dans ces conditions, tolérer ce système, c’est non seulement renoncer à décider pour soi-même, mais c’est aussi tolérer que des crimes comme le soutien au gouvernement génocidaire rwandais soient commis. Lutter ici et maintenant, clamer publiquement notre refus, lancer des campagnes d’actions, est ainsi une nécessité qui peut s’avérer vitale pour les millions de personnes qui sont aujourd’hui à la merci de nos dirigeants. Si nous ne faisons rien, nous pouvons être sûr que des événements similaires se reproduiront. La lutte doit se développer aussi dans les métropoles impérialistes.

Aujourd’hui, pratiquement seule l’association Survie travaille vraiment sur la question, mais que peut-elle si personne ne se soucie de relayer l’information ? D’autant que nous pourrions aussi avoir un mot à dire (nous avons aussi, par ailleurs, de graves questions à nous poser quant à notre si long silence) : il serait dommage (!) que seul un discours citoyenniste émerge. N’est-il pas temps de réagir ?

Yves Bonnardel et Sem Laforêt

En adaptant librement des textes de Survie et la postface de Un génocide sans importance (J.-P. Gouteux, éd. tahin party, 2002, téléchargeable gratuitement sur le site des éditions : http://tahin-party.org/ ), avec leur accord. On peut aussi pour de plus amples informations sur la politique française depuis la « décolonisation », lire F.-X. Verschave, Françafrique : le crime continue, disponible sur le même site.

Pour de plus amples infos aller par exemple sur le site de Survie : http: //www.survie-france.org/ et sur ceux des divers Survie régionaux ; on trouvera également le rapport récent de la « Commission d’Enquête Citoyennepour la vérité sur l’implication française dans le génocide » sur : http: //www.enquete-citoyenne-rwanda.org/  ; cette CEC publie ses rapports ce mois-ci !!!
A signaler aussi la très intéressante revue Afrique XXI, « revue des alternatives africaines », fondée entre autres par la CNT et qu’on peut se procurer à son adresse (c/o CNT, 33 rue des Vignoles, 75020 Paris).

Il existe en outre une liste de discussion sur internet, pour discuter et préparer des interventions dans une optique libertaire ; elle reste hélas peu active ; n’hésitez pourtant pas à vous inscrire : neocolonialisme_france-subscribe@yahoogroupes.fr


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