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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°3 - Novembre 2001 > Jeunesse du précariat, un salariat en mode mineur

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Jeunesse du précariat, un salariat en mode mineur


Par-delà le scepticisme de rigueur en la matière et sans nécessairement verser dans un relevé général des contradictions entre droits formels et droits réels, qu’est-ce que liberté, égalité et fraternité ont à faire avec la discrimination brutale subie par les jeunes en terme de protection face aux aléas de la vie de salarié ? En cette période électorale, comment ne pas à nouveau s’étonner de la cynique abstraction de la devise républicaine en matière de reconnaissance sociale des jeunes ?


image 275 x 182Signe manifeste de cette " exceptionalité " : en 1988, une classe politique unanime décide d’épargner aux nouveaux entrants dans le salariat l’indignité d’un passage par l’assistance. Cette interdiction du RMI aux moins de 25 ans dure ainsi depuis 13 ans déjà ! Sa mise en question, portée par des mouvements de chômeurs et précaires qui prônent la création d’un droit au revenu dès 16 ans, reste isolée à ces mouvements de jeunesse de longue durée. Est-ce en raison de la portée globale d’une telle revendication, réduite à rien par ceux qui n’y voient qu’une mesure humanitaire, ignorée sciemment par les religieux de l’emploi et redoutée par ceux qui tirent profit de la situation actuelle ? Cette donne absurde flétrit pourtant le présent autant qu’elle injurie l’avenir.

Fraternité ? Famine et familialisme plutôt. Des jeunes, plus nombreux à connaître la pauvreté, grossissent désormais les rangs de l’errance sans ressources tandis que la dépendance au soutien familial s’éternise. D’une part, l’âge de départ du foyer familial a reculé pour atteindre 25 ans en moyenne, d’autre part, et plus généralement, les transferts monétaires intra-familiaux, qui s’effectuaient précédemment vers les anciens, ont vu leur direction s’inverser pour concerner les jeunes adultes au premier chef. L’emprise de la famille comme articulation proprement sociale, pseudopode de l’état providence, perdure par ce secours aux derniers arrivés. On ne compte plus les études d’opinion mettant en avant les avis favorables sur une famille d’autant mieux valorisée qu’elle est devenue garante de cette estime de soi que l’indépendance ne peut fournir, lieu et lien d’une solidarité absente ailleurs. Cette dépendance aux " insérés " augmente d’ailleurs d’autant l’aspiration à l’insertion comme seul mode d’indépendance. Famille et travail s’épaulant ad nauseum...

Égalité ? Au motif " altruiste " de préserver l’espoir d’une place sociale à part entière, le RMI reste exemplairement interdit justement à ceux qui s’insèrent. Il est ainsi très rarement accessible aux scolarisés, étudiants ou autres. Droit de vote à 18 ans ? Travail dès 16 ? Peu importe ! Le droit au revenu, même sous la forme tronquée et soumise à contrôle du RMI, reste réservé aux plus de 25 ans. Les seules exceptions ? Se déclarer en concubinage avec un allocataire ou avoir des enfants à charge. Jusqu’à 25 ans, mais aussi au-delà, la situation familiale détermine le droit au revenu. En 1999, les statistiques de l’Unedic montraient que la majorité des chômeurs de moins de 25 ans officiellement inscrits n’accédaient pas aux allocations Assedic en raison de durées d’emploi insuffisantes. Soit près de 400 000 personnes, également et légalement exclues du RMI. L’inégalité des revenus et patrimoines familiaux surdétermine fortement cette longue "phase de transition" qu’est devenue "l’entrée dans la vie active", avec, cela va sans dire, des conséquences durables sur l’ensemble du cycle de vie.

Liberté ? Avant tout, celle de participer à la concurrence pour occuper des emplois précaires. Plus ou moins gratuits, les stages en entreprises sont désormais généralisés du collège à l’université. Les bonnes habitudes s’inculquent sur longue période. Comment ne pas être disponible ensuite pour des jobs au SMIC horaire ou guère mieux, des fast-foods aux centres d’appel, pour des temps partiels et de l’intermittence sans garanties ? Faut-il encore rappeler que les Contrats à Durée Déterminée (CDD) représentent 80 % des embauches ? Liberté aussi d’aliéner sa vie à la survie autorisée par l’économie informelle ou délictueuse. Manière de ne pas trop déchoir qui ne va pas sans lourdes contreparties : on compte proportionnellement bien plus d’incarcérés de 16 à 25 ans que dans la population générale. La prison forme tout bonnement un risque générationnel lié à l’apprentissage au salariat. La possibilité de choisir, d’user d’une liberté effective pour refuser des emplois, aux salaires médiocres et aux conditions de travail dégradantes, demeure très réduite pour les salariés de moins de 25ans.

L’instauration d’un droit au revenu ouvert aux jeunes n’aurait, du point de vue salarié, que des avantages. C’est bien ce cauchemar que redoutent les économistes " libéraux " lorsqu’ils déplorent l’existence de " trappes à pauvreté " causées par des garanties sociales trop peu conditionnées au marché de l’emploi et inventent une désincitation au travail largement fictive pour mieux écarter de l’agenda politique la hausse des minima sociaux ou leur extension. Oui, il est possible d’assujettir le marché de l’emploi aux préférences de ceux qui l’animent, chômeurs et autres disponibles. Et la liberté accrue de refuser des emplois est une forme nécessaire de régulation. Une garantie collective de revenu soutiendrait cette autonomie individuelle qui permet à chaque vendeur de force de travail de faire le tri entre des offres qui ne sont pas toutes acceptables, loin de là, et dont une grande part peut même être jugée nuisible ou contraire aux intérêts de ceux qui sont amenés à les effectuer.

Effet vertueux : une requalification globale du rapport d’emploi par ceux qui le vivent. La norme collective de garantie de revenu fait de chacun le dépositaire d’une forme de contrôle sur l’offre d’emploi. La déliaison accrue du revenu de l’emploi est d’ailleurs le chemin indiqué, à contrario, par de récentes mesures comme la " prime pour l’emploi ". On a vu dans ce cas le gouvernement répondre à la demande de revenu par l’octroi d’une prime réservée à ceux qui auront suffisamment attesté de leur employabilité sans avoir pour autant perçu des salaires " trop " élevés. Le mécanisme, s’il rehausse, très relativement, le sort de quelques millions de personnes, cible les salariés pauvres en excluant les chômeurs et tous les travailleurs précaires qui n’ont pas effectué assez d’heures déclarées afin de favoriser l’acceptation de la précarité de l’emploi.

Le salariat est bien ce mixte hybride de discipline et de contrôle, de contrainte et d’incitation, comme le montre exemplairement la situation faite aux jeunes. Depuis un quart de siècle, le salariat se constitue par le dressage de ses entrants à la précarité. Des stages-Barre de 1976 aux emplois-jeunes d’Aubry, l’argument d’un supposé manque d’expérience a fait de l’insertion un motif de mise à disposition des entreprises, tant publiques que privées, à tarif réduit, jusqu’à s’appliquer aux allocataires du RMI et, depuis peu (PARE), aux chômeurs dans leur ensemble. La disponibilité à l’emploi, ressource-clé d’un mode de produire marqué par l’aléatoire des restructurations, agité par ces moments d’innovation dont la prégnance a succédé à celle des longues séries du fordisme, aux objets et aux procédures sans cesse modifiés, doit être captée là où elle se manifeste en grand, chez les femmes un temps, dans l’immigration cycliquement, et parmi les jeunes de manière permanente. C’est sur ces bords de la classe salariée que s’expérimentent les nouvelles modalités de la mise au travail.

Le halo de la disponibilité alimente l’exigence contemporaine d’une contribution productive caractérisée par une mobilité et une polyvalence accrues. Loin de s’accompagner de garanties adéquates, la violence de la mise à disposition s’exerce sans autre contrepartie que l’espoir d’une hypothétique et tardive insertion dans un emploi stabilisé. La minorisation des jeunes marque ainsi d’une façon renouvelée la cartographie d’un salariat toujours davantage modelé par la situation de sa " périphérie ". S’acharnant à rejoindre tous les espaces investis par les luttes ces dernières décennies, la discipline sur des corps, le contrôle des affects et de la mobilité, débordent le cadre étroit de la prestation de travail pour coloniser l’ensemble des conditions de vie. Qui aurait cru que des tiers garants puissent être systématiquement requis par les bailleurs auprès de salariés pourtant majeurs pour l’accès à un logement ? Minorité sociale, c’est bien au-delà de l’age de la jeunesse que le sort fait aux jeunes modifie le salariat.
Si une droite clientéliste expérimente parfois localement un " revenu étudiant " quand elle ne veut pas transformer le RMI en "revenu d’activité", la " gauche plurielle " s’est toujours refusée à ouvrir le débat avant de l’enliser. S’essayant à une écologie sociale encore confuse, les Verts se disent favorables à un "revenu d’autonomie pour les jeunes" ; au nom du droit à la formation, le P "C" n’envisage un revenu pour les jeunes que s’il est subordonné à une obligation de formation ; le PS, arc-bouté à son avare philanthropisme s’effraie des timides propositions récemment formulées par le Commissariat général au plan... Le gouvernement se contente donc de moins mal rétribuer quelques dizaines de milliers de jeunes stagiaires TRACE afin d’endiguer leur fuite vers l’emploi précaire ordinaire. L’âne gouvernemental n’a décidément pas soif de victoires. Pas de surprise donc si le succès de la droite de droite face à la droite de gauche semble, pour l’heure, assuré aux présidentielles. Toute politique qui méprise le précariat s’en trouve elle-même précarisée.

Laurent, AC ! Paris lundi


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