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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°3 - Novembre 2001 > Entretien avec le cinéaste René Vautier

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Entretien avec le cinéaste René Vautier


Cette rencontre a eu lieu avant les attentats aux USA.


Rico : Nous allons parler du combat antifasciste d’hier, puisque vous, vous étiez dans la résistance, et d’aujourd’hui puisqu’au travers de vos films, vous continuez à lutter. Alors, que pensez-vous de la lutte antifasciste aujourd’hui, aussi bien au niveau hexagonal qu’international ?
René Vautier :
Avant, je vais rester sur le plan qui est le mien depuis longtemps, celui de la violence. Je pense que la violence est très manipulante par le pouvoir et que lorsque l’on a recourt à la violence, très souvent les conséquences sur l’opinion publique ont un effet tel que l’on peut se demander qui est derrière la violence : est-ce que ce sont les gens qui utilisent la violence ou est-ce que ce sont des gens qui, siamang ou non, sont manipulés par le pouvoir. Et donc, je pense que la violence n’est pas aujourd’hui la meilleure solution pour lutter contre le fascisme. Bien sûr, il est nécessaire de lutter contre le Front national et autres groupes d’extrême droite mais il y a d’autres arguments pour cela que la violence. En effet, elle crée des martyrs, ou risque d’en créer, et aujourd’hui je continue à penser que c’est en direction de l’opinion publique qu’il faut se tourner pour démontrer la bêtise de leurs idées. Et ce qui me révulse, c’est de voir à quel point les moyens de toucher l’opinion publique sont mis à la disposition du Front national. Que des gens aient fait passer à l’Heure de vérité à la télévision un monsieur qui dit, carrément "je vous poursuis si vous parlez de telle période de ma vie, on n’a pas le droit de dire ce que j’ai fait en Algérie" et accepte ces conditions, c’est quelque chose contre lequel il faut hurler ! Je ne sais pas, on pourrait par exemple faire la grève des redevances télévisées ! Ajourd’hui, je mets dans le même sac le Front national et le pouvoir que l’on peut dénoncer sur de nombreux plans, mais à qui on laisse la parole.

On va revenir sur la résistance, pensez-vous que les gens s’engageaient dans une lutte antifasciste ou dans une lutte pour la libération de la France ?
Beaucoup de gens s’étaient engagés uniquement sur le plan libération de la France, mais il y avait une telle liaison entre l’occupation et le fascisme, que les choses étaient difficilement dissociables. Mais à partir du moment où il y a eu la Libération et même un petit peu avant, il y a eu des gens qui essayaient de monter les différents groupes de résistance les uns contre les autres. Ainsi, à la Libération, on nous a dit "Gardez les armes que vous avez prises, elles pourront être utiles si les FTP essayent de prendre le pouvoir". Nous, ça nous a fait rigoler : c’était des frères d’arme dont je me sentais très proche, et on n’avait pas l’intention de se heurter à qui ce soit !

Et malgré tout, vous pensez qu’il existait une réelle unité antifasciste ?
Je crois réellement qu’elle a existé à la base. Au sommet, il y avait déjà des gens qui songeaient à leur avenir politique et qui étaient des alliés de façade.

Et aujourd’hui, est-ce qu’une telle unité est envisageable ?
Je pense oui. On est en train de dépasser le débat politique. S’il y a une action à mener, c’est une action qui viserait à unifier les gens qui pensent qu’il faut des changements fondamentaux dans la gestion de l’économie et dans la gestion du politique en France.

Et pour vous, c’est quoi le politique ?
Etymologiquement, c’est la conduite de la cité. C’est un certain nombre de choix, d’actions qu’on n’a plus l’occasion de faire aujourd’hui, que l’on nous refuse et qu’on cherche à nous empêcher, par exemple, d’expliquer qu’il y a des tas de raisons d’être contre le libéralisme, de montrer ce qui se cache derrière le libéralisme. Résultat : on nous amène vers la mondialisation, vers le libéralisme à outrance et on ne peut plus organiser la discussion de cette orientation, on ne peut plus s’exprimer puisque la plupart des médias se retrouvent à être des médias contrôlés. Alors, qu’il y ait des médias neufs qui naissent et qui, pendant un temps, puissent échapper à la loi d’un pouvoir dominant, je crois que c’est vers ça que les jeunes doivent se tourner et gagner leur place. Hier, c’était les radios libres, aujourd’hui, c’est les télévisions libres mais la difficulté étant de garder un espace de liberté comme on a pu le voir avec les radios libres qui se sont retrouvées complètement pourries par la publicité. C’est donc l’argent qui a une fois de plus contrôlé ce qu’il fallait dire et éviter de dire. Cependant, il me semble que les télévisions libres vont pouvoir libérer l’expression et retrouver ce que permettait hier les radios libres. Mais pour combien de temps... Il faudra surtout veiller à ce qu’elles restent libre !
Quoi qu’il en soit, c’est aux jeunes de se prendre en main. Ce, pas dans un souci d’imitation, mais pour conquérir l’expression par des techniques nouvelles, c’est un match de vitesse qui est en place contre le pouvoir qui tend à vouloir toujours mettre des barrières à la liberté d’expression.

Pour conclure notre entretien, vous parlez de la violence, de la mondialisation, de la liberté d’expression, je vous propose de revenir sur les événements de Gênes. Pensez-vous qu’il y a eu une violence acceptable d’un côté comme de l’autre ?
Je sais qu’il y a eu une violence policière, et je sais que c’est peut-être en montrant cette violence policière que l’on peut le plus influer sur l’opinion publique parce que c’est déjà la police qui utilise la violence et qui l’attribue à d’autres. J’ai filmé pendant très longtemps les manifestations. Bien souvent lors des manifestations de jeunes, il y a un service d’ordre interne à la manifestation qui empêche les débordements que les agences d’images attendent pour pouvoir les filmer et pour pouvoir faire peur. Bien souvent les gens se rendent comptent d’eux-mêmes des limites qu’il faut donner à la manifestation pour qu’elle soit considérée comme l’expression d’une volonté collective. Nous en avons la preuve : ceux que l’on appelait les casseurs étaient manipulés par les policiers.
Alors, maintenant, est-ce qu’il existe une violence juste, je crois qu’il existe une violence juste, une violence de riposte mais que cette violence de riposte est manipulable d’une manière très précise par des gens dont c’est le métier de manipuler. Alors, si je suis contre la violence, c’est pas pour des raisons morale, mais bien pour des raisons pratiques, des raisons d’efficacité. Aujourd’hui, c’est le pouvoir qui peut manipuler la violence. La violence est une arme qui est très dangereuse à manier. Et à l’utiliser, nous risquons d’être manipulés.

Rico (SCALP Brest) et Pépito (Canal Ti Zef)


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