Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2001N°3 - Novembre 2001 > Les Algériens face à la guerre en Afghanistan

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Les Algériens face à la guerre en Afghanistan


Une ambiance très mitigée sévit en Algérie depuis les attentats qui ont touché les Etats-Unis d’Amérique le 11 septembre dernier. A la différence de beaucoup de pays arabes et musulmans, aucune manifestation publique en rapport avec ces événements n’a été enregistrée en Algérie, pas même depuis le début des attaques américaines et britanniques contre l’Afghanistan. Pas même face à la gigantesque pression mediatico-politique occidentale invitant chacun à "choisir son camp". C’est dire la perplexité d’une société touchée depuis 10 ans par le terrorisme islamiste sous ces formes les plus abjectes.


image 170 x 104Il faut dire que les islamistes algériens qui auraient pu verser dans un délire pro talibans ou pro Ben Laden sont aujourd’hui réduits à tenter de recoller les morceaux. Leur crédibilité ayant été considérablement malmenée par le fanatisme terroriste de leurs éléments
les plus radicaux, des manifestations de ce sens pourraient leur donner le coup de grâce. Même si depuis 2 ans le président Bouteflika, de plus en plus tenté par une expérience islamo-nationaliste à la soudanaise, ne cesse de leur faire les yeux doux pour contrecarrer la tendance laïque d’une partie de l’armée, farouchement anti-islamiste.
Abdallah Djaballah, un des fondateurs du FIS, actuellement à la tête d’un parti islamiste légal très minoritaire, refuse de condamner les attentats du WTC, mais n’ose pas aller jusqu’à soutenir Ben Laden. Il s’est contenté il y a quelques jours de parler de guerre contre l’islam et de faire allusion à la responsabilité d’Israël dans les attentats. Un discours somme toute classique dans la rhétorique islamiste.
Quant à Mahfoud Nahnah, président du MSP (Mouvement de la Société pour la Paix), un autre parti islamiste légal, il s’est refusé à tout commentaire direct. Ses derniers meetings tenus dans l’Ouest algérien se sont déroulés sous le mot d’ordre de soutien à la cause palestinienne. Sans plus.
Cependant, on peut ressentir un certain soulagement chez une partie de la population qui a l’impression que la communauté internationale a enfin pris conscience des dangers que représente l’islamisme. En privé, beaucoup d’Algériens interrogés rappellent inlassablement que l’Algérie n’a pas cessé de demander le démantèlement des réseaux terroristes existant à Londres, à Berlin ou à Washington. Précisant que c’est à partir de ces capitales que les islamistes propageaient leur littérature terroriste et revendiquaient la plupart des crimes commis en Algérie ou ailleurs. Il y a même une espèce de rancoeur ressentie vis à vis de l’Amérique qui a n’a pas bougé le petit doigt lorsqu’ en 1994 et 1995 Annouar Haddam, l’un des artisans du GIA, saluait publiquement à partir de Washington l’assassinat de journalistes et d’intellectuels algériens, se permettant même de revendiquer l’un des attentats les plus sanglants perpétrés à Alger. Celui de la rue Didouche Mourad dans lequel une bombe posée à l’intérieur d’un bus a fait 48 morts et des dizaines de blessés. Ce dépit concerne également tout l’Occident à qui les Algériens ne pardonnent pas son soutien inconditionnel à la politique israélienne ainsi que son silence face à l’embargo imposé au peuple irakien depuis 10 ans.
Cela dit, dans certains quartiers populaires des grandes villes, on a pu remarquer une radicalité dans les discours de quelques imams, appelant à soutenir Ben Laden et les talibans. De même que de l’autre côté, une certaine élite de la petite bourgeoisie des grandes villes, sans l’afficher ouvertement, se dit pour les bombardements américains en Afghanistan, arguant que chaque coup porté aux réseaux terroristes, où qu’ils soient, est "bon à prendre".
De son coté, le pouvoir algérien est à l’image de la population : pris entre deux feux. Le président Bouteflika, qui s’est empressé de téléphoner à G.W. Bush pour lui exprimer ses condoléances, a du mal à adopter une démarche cohérente. Dans un premier temps, il s’est dit prêt à soutenir une coalition internationale contre le terrorisme. Avec le début des frappes américaines, Bouteflika se rétracte et demande des preuves de l’implication d’Oussama Ben Laden dans les attentats du 11 septembre. Et d’insister de nouveau sur le fait que l’Algérie est le pays qui a le plus souffert du terrorisme.
Il faut toutefois revenir au contexte algérien lui-même pour comprendre cette perplexité des algériens face aux événements que vit le monde actuellement. Dévastée depuis plus de dix ans par une violence destructrice, l’Algérie tente désespérément de relever la tête. Mais les choix économiques de ces dernières années semblent plonger le pays dans une crise encore plus profonde. Des accords conclus avec la Banque Mondiale et le FMI pour alléger la dette extérieure, loin de soulager la population, ont été à l’origine de disparités sociales et d’une chute brutale du niveau de vie. Le président et son gouvernement, en dépit de tous les signaux d’alerte, croient dur comme fer que plus de libéralisme et plus de privatisations seront les meilleures solutions pour sortir de la crise. Résultat : une large partie de la population n’arrive pas à joindre les deux bouts. Sans parler de la corruption qui gangrène l’administration et les établissements publics, provoquant une démobilisation totale et une désaffection grandissante des algériens vis-à-vis de la chose publique.
Du côté de la Kabylie, la contestation qui mêle revendications identitaires et sociales ne semble pas se calmer. Il y a quelques jours une proposition du gouvernement pour la reconnaissance de la langue et de l’identité Berbère a divisé la Kabylie en deux camps quasiment opposés : Ceux qui acceptent le dialogue avec le pouvoir sur la base de ces propositions et les autres, les plus radicaux, qui refusent toute négociation avec les autorités. Depuis deux semaines, la Kabylie semble livrée à elle-même. Ni l’Etat ni les Arouchs (représentants de la population kabyle) n’arrivent à maîtriser une situation qui semble échapper à tout le monde.
Et pendant ce temps là, quotidiennement, des algériens sont encore assassinés dans des embuscades ou des faux barrages. Dans le silence assourdissant de la communauté internationale...

Lotfi


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net