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France-Turquie : le racisme remporte le match



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La question d’un référendum sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne a été ces dernières semaines au cur de la vie politique française, et, comme en Autriche ou au Danemark, la protestation que cette adhésion suscite, tant dans les différents partis politiques que dans l’opinion, a été particulièrement marquée.
Si, dans certains cas, ce refus a pu être motivé par des raisons politiques (la question des droits de l’homme) ou économiques, il a été le plus souvent le triste reflet d’une société viscéralement hostile à tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à une pénétration de l’islam « en terre chrétienne ». Si le président de la république Jacques Chirac a finalement décidé de reporter cet éventuel référendum à dans une dizaine d’années (au moment où l’adhésion de la Turquie se posera effectivement), il est intéressant de revenir sur ce phénomène, en particulier parce que les formations d’extrême droite, à la pointe du combat anti-turc, comptent bien poursuivre leur action xénophobe et islamophobe, pour laquelle le référendum n’avait été qu’un prétexte.
Un sondage réalisé mi-octobre1 a mis à jour une opinion française particulièrement hostile à la Turquie : 75% des Français seraient contre l’adhésion de ce pays à l’UE. Les retraités seraient les plus « turcophobes » (83,7 %), tout comme l’électorat de droite : pas de doute, c’est bien la peur de l’islam, et de la « perte de l’identité chrétienne » de l’Europe qui est la principale raison de ce refus.
L’extrême droite ne peut que se réjouir d’une telle situation : depuis les élections européennes de juin dernier, elle agite l’épouvantail islamiste à travers l’exemple turc, situé aux portes de l’Europe. Après les immigrés, c’est un pays entier qui est stigmatisé comme le fer de lance d’une invasion sournoise des musulmans du monde entier, décidés d’après les différentes formations nationalistes et racistes à « islamiser » l’Europe, « naturellement  » chrétienne et
blanche. Voici une rapide présentation des différents mouvements engagés dans cette campagne.
Commençons par les précurseurs : Voix des Français (VdF) - Renaissance 95, une association fondée en 1993, qui milite pour « une résolution de nos problèmes d’immigration conforme aux volontés du peuple français et dans des conditions moralement et humainement irréprochables » et, grâce à un carnet d’adresses bien rempli, tente de développer en France un lobby anti-immigration, appuyé par des patrons ou des élus. Présidée par le comte Henry de Lesquen, membre-fondateur du Club de l’Horloge, un club de réflexion ultra-libéral qui sert de lieu de rencontre entre personnalités de la droite extrême et du Front national, Voix des Français a fait preuve depuis deux ans d’un activisme débridé contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne : tracts, pétitions, lettres aux élus L’essentiel de son discours vise à présenter la Turquie comme un ennemi « historique  » de l’Europe et un danger démographique et religieux. Il faut dire que la haine anti-arabe de Henry de Lesquen est telle qu’il a réussi à se fâcher avec le cadre du FN Farid Smahi, lors de la deuxième Convention pour l’entente à droite, le 23 janvier 1999. Cependant, l’audience de VdF reste confidentielle, et bien qu’elle se vante d’avoir sur le sujet « brisé le mur du silence » , il est peu probable que ce soit par son action que la question de l’adhésion de la Turquie ait pris une telle importance sur la place publique.
Plus médiatique, et parmi les premiers à avoir fait campagne contre la Turquie au nom de la défense de la chrétienté, on
trouve le « souverainiste » Philippe de Villiers, dont le slogan pour les européennes de 2004 était « Non à la Turquie en Europe » (slogan qu’il avait tenté de déposer à l’INPI, l’Institut National de la Propriété Intellectuelle), et au cours desquelles il avait obtenu 8,83% des voix. S’il s’est illustré par quelques déclarations fracassantes sur le poids démographique que représenterait la Turquie pour l’Europe (lui qui, par ailleurs, est opposé à l’avortement), il n’a cependant pas pris de risque à l’Assemblée nationale où il est député, de peur de se fâcher avec ses amis conservateurs.
Le Mouvement National-Républicain (MNR) de Bruno Mégret, lui aussi hostile à l’entrée de la Turquie dans l’UE depuis plus d’un an, est resté relativement discret, et, s’il a souhaité lui aussi que le référendum ait lieu rapidement, il n’avait pas vraiment prévu de campagne sur ce thème, préférant celui de « l’islamisation de la France », qu’il considère certainement plus
proche des préoccupations de ses sympathisants (s’il en reste). Cependant, cette discrétion est davantage due à la situation du MNR, empêtré dans ses problèmes financiers et les fuites de ses cadres, qui est à l’heure actuelle un parti à l’agonie.
« Les Jeunesses identitaires », un groupuscule radical de quelques centaines de membres, s’est lui aussi lancé dans la campagne, autant par conviction (le racisme et l’islamophobie lui servant d’idéologie) que par opportunisme (il essaye toujours de profiter de l’actualité pour se faire remarquer), et il devait manifester dimanche 14 novembre à Lyon devant le consulat de Turquie.
Signalons également qu’un membre « historique » du Bureau politique du Front national (FN) de Jean-Marie Le Pen, Pierre Descaves, vient de fonder l’association France Résistance, « indépendante de toute formation politique », dans le but d’empêcher l’entrée de la Turquie dans l’Europe : on retrouve à ses côtés L’Esprit
public, le club de Jacques Bompard, maire FN de la ville d’Orange et actuellement en conflit avec Le Pen.
Mais, on s’en doute, le Front national en tant que tel n’est pas de reste  : et il a tenu à apparaître comme « le seul mouvement politique réellement hostile à la funeste greffe turque » comme il le dit lui-même. Mais comment, avec tant de concurrents, dont certains se sont véritablement spécialisés sur la question, faire la différence ? En liant la campagne contre la Turquie à une offensive plus large contre l’Europe, en particulier son projet de Constitution. Si les autres ont également pu faire le lien (De Villiers en particulier), le FN l’a adopté dans la perspective des présidentielles de 2007 (!), en faisant de sa campagne anti-européenne une campagne contre Chirac, ennemi de Le Pen depuis toujours. Finalement, la campagne du FN contre l’adhésion de la Turquie est conçue dans une perspective essentiellement nationale : en jouant sur les rélfexes protectionnistes et xénophobes de ses sympathisants, le Front national entend avant tout faire campagne pour lui-même, et pour son président, en en profitant pour apparaître comme la seule alternative à une politique présentée comme inéluctable et préparée en coulisse par les partis de gouvernements, accusés de simuler des débats internes sur des questions déjà tranchées. Se présentant comme le parti « du peuple », le FN ne peut que se réjouir et profiter des sondages qui semblent indiquer une pénétration toujours plus grande de ses idées racistes et des craintes et du rejet qu’il entretient et attise dans l’opinion à l’égard des étrangers en général, et des musulmans en particulier.
1 sondage Louis Harris-« Libération », réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 893 personnes, les 8 et le 9 octobre 2004


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