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Noam Chomsky : Deux heures et demi de lucidité

Entretien avec Denis Robert et Weronika Zarachowitz

 Ces entretiens ont été menés en 1999, mais le livre n’est sorti qu’après les événements du 11 septembre. De façon synthétique, les auteurs abordent avec Noam Chomsky tous ses thèmes de prédilection : les médias et leur propagande, les centres de pouvoir, le capitalisme et le mercantilisme, etc. Pour ceux qui ne connaîtrait pas ce penseur se revendiquant anarchiste, il s’agit d’une bonne introduction à ses travaux. Il réactualise ces derniers à la lumière des évolutions récentes : la prédominance du capitalisme financier, le mouvement " antiglobalisation ", Internet…
Le livre est écrit de manière particulièrement limpide, avec des notes qui précisent tous les termes ou sigles. Il s’adresse tout particulièrement à des personnes souhaitant aborder les travaux de Chomsky, ainsi qu’à celles et ceux qui cherchent un décryptage lucide et documenté sur les évolutions socio-économiques des six ou sept dernières années.

En voici quelques extraits :
Croyez-vous à une organisation pyramidale du pouvoir ?
Noam Chomsky : Il n’y a rien au sommet de la pyramide ! Le monde n’est pas un système totalitaire. Il contient des poches de totalitarisme, mais le système est beaucoup plus diffus. Il arrive parfois que les organisations militantes de base aient suffisament de pouvoir pour faire reculer les puissants. On en a eu un exemple spectaculaire en 1998 avec l’Accord multilatérale sur l’investissement (AMI). Les multinationales y étaient favorables, les médias y étaient favorables, la Banque mondiale et le FMI y étaient favorables… La plus grande concentration de pouvoir dans l’Histoire soutenait cet accord. Sachant que le public risquait de s’y opposer, les négociations s’étaient déroulées pendant trois ans dans le plus grand secret. Le monde des affaires et les médias étaient au courant, mais ils se gardaient bien d’en parler. Des fuites sont tout de même parvenues jusqu’aux organisations militantes. Celles-ci ont commencé à se mobiliser, en se servant de façon très efficace d’Internet. Finalement, l’OCDE a dû reculer et retirer son projet. Le Financial Times de Londres, le plus grand quotidien économique du monde, a eu un article très acerbe, qualifiant ces organisations de ligues d’autodéfense. Et les représentants de l’industrie et du commerce se sont lamentés : " C’est une catastrophe, c’en est fini des accords de commerce négociés en secret puis avalisés par les Parlements ! "
D’un coté, on a la plus grande concentration de pouvoir dans l’Histoire. De l’autre, une multitude d’organisations diffuses. Et ce sont ces organisations qui l’ont emporté, au moins provisoirement. C’est une victoire considérable et une excellente nouvelle. Le pouvoir est partout. Si les gens s’organisent, ils peuvent faire bouger les choses. (…)

Que pensez-vous de la course à l’instantanéité qui caractérise l’information aujourd’hui ?
NC : Que l’information vous arrive sur le champ ou un jour plus tard ne change rien.

La rapidité de la communication a-t-elle pour objectif de tuer la mémoire et d’étouffer l’esprit critique ?
NC : Cette effet découle de sa superficialité, pas de sa rapidité. Que vous lisiez une nouvelle un mois plus tard ne change rien, vous la comprendrez de la même façon.

Mais une nouvelle efface l’autre…
NC : Certes, mais même si vous la lisez avec une semaine de retard, elle est remplacée par d’autres. La rapidité donne l’illusion de vivre au cœur des événements, mais cela signifie seulement qu’on est soumis à une propagande encore plus intense. Quand c’est instantané et palpitant, on se laisse entraîner par le flot des événements. Selon moi, c’est l’absence de profondeur et la superficialité, non la rapidité, qui affectent la perception du présent. Mais tout est fait pour effacer la mémoire. (…)

Extraits de Noam Chomsky, Deux heures de lucidité, Entretien avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz, Edition Les Arènes - 12 euros (78,70 F).