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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°5 - Janvier 2002 > Loi sur la sécurité quotidienne : les citoyen-nes terrorisé-es

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Loi sur la sécurité quotidienne : les citoyen-nes terrorisé-es


Ces éclairages su Syndicat de la Magistrature sont à eux seuls très révélateurs des dispositions ultra-sécuritaires votées dans la Loi de sécurité quotidienne.


Le mercredi 03 octobre 2001, le Premier Ministre a annoncé, devant l’Assemblée nationale, de nouvelles dispositions législatives "temporaires", "justifiées par la lutte anti-terroriste". Voici l’intervention du Syndicat de la Magistrature lors de la conférence de presse du 12 octobre 2001.
- En 1978, la Cour européenne des droits de l’homme affirmait : "Consciente du danger inhérent à pareille loi de surveillance, de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre, la Cour affirme que les États ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée" (arrêt Klass)..
- Le 18 janvier 1995, le Conseil constitutionnel français, saisi par 60 parlementaires (dont Laurent Fabius, Daniel Vaillant, Jean-Pierre Chevènement, Georges Sarre, etc.), après le vote de la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité, énonçait : "Considérant que la prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment d’atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d’infractions, sont nécessaires à la sauvegarde de principes et droits de valeur constitutionnelle ; qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l’exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d’aller et de venir ainsi que l’inviolabilité du domicile ; que la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle." (...)
Ces textes interviennent par voie d’amendements, selon une procédure parlementaire exorbitante, faisant fi des droits du Parlement : amendements introduits dans le projet de loi "Sécurité quotidienne" (le titre, en lui-même est un aveu...). (...)
Cette manière de faire a déjà été déclarée anticonstitutionnelle ("cavaliers législatifs"). Elle permet d’éviter le contrôle a priori du Conseil d’Etat sur les projets de lois, les navettes usuelles entre le Sénat et l’Assemblée nationale, les auditions par les commissions des lois de personnalités qualifiées, le droit d’amendement du Parlement...
Bien plus grave, il apparaît que le Gouvernement a pris des garanties, y compris avec l’opposition parlementaire (quel aveu encore...), pour éviter tout recours visant à déférer au Conseil constitutionnel la loi à venir, alors même que la plupart, voire la quasi-totalité, des amendements proposés touchent aux libertés fondamentales, et qu’une très grande partie des dispositions proposées sont, à l’évidence, contraires à la Constitution. Sur le fond maintenant, l’analyse technique et juridique de ces textes permet d’affirmer :
- d’abord, qu’il ne s’agira pas de dispositions temporaires : le délai fixé (31 décembre 2003) est à lui seul révélateur... L’histoire juridique et parlementaire de notre pays démontre que l’on ne revient jamais en arrière, en matière d’atteintes aux libertés.
- ensuite, que les textes proposés ne sont pas des mesures spécifiques à la lutte anti-terroriste, parce que, juridiquement, les nouvelles dispositions introduites ne sont pas contenues dans la partie spéciale du Code de procédure pénale relative aux infractions terroristes, mais dans la partie relative aux infractions de droit commun, même les moins graves, voire dans des textes extérieurs au Code de procédure pénale.
- enfin, et cela est politiquement particulièrement obscène, que ces mesures se situent, en réalité, dans la continuité du discours sécuritaire tenu depuis de nombreux mois : le Gouvernement ne fait que "profiter" d’un contexte international, certes réel, pour prendre des mesures purement électoralistes. Ce texte de loi est un véritable "cheval de Troie "juridique. Venons-en justement à l’analyse des 13 amendements proposés par le Gouvernement.

Un seul vise juridiquement, et partiellement, les infractions terroristes (celui concernant les fouilles de véhicules). L’amendement 13, s’il fallait encore une démonstration par l’absurde, ne vise que le transport des sachets de premiers euros par des entreprises non habilitées au transport de fonds...
Pour les 12 premiers amendements, trois séries de dispositions nous inquiètent particulièrement.

1) Les fouilles dans les véhicules
Selon le texte proposé, calqué sur les dispositions concernant les contrôles d’identité, le procureur de la République pourra ordonner des contrôles "préventifs" de véhicule.

Nous dénonçons, dans cette disposition, les points suivants :
ˆ Le procureur pourra ordonner de telles perquisitions non seulement dans un contexte "terroriste", mais aussi seulement pour rechercher des infractions en matière des stupéfiants (pour tout produit et pour toute quantité) et en matière d’infractions à la législation sur les armes (y compris les armes dites "blanches"... les scouts et les campeurs n’ont qu’à bien se tenir !).
ˆ Ces contrôles ne seront pas soumis à une motivation particulière, concernant leur lieu ou leur moment (contrairement à ce qui est faussement affirmé dans l’exposé des motifs du Gouvernement) : il s’agit bien de contrôles "préventifs", hors toute enquête judiciaire ou suspicion de commission d’infraction.
ˆ Ces contrôles permettront la fouille des véhicules et des bagages (valises...) contenus dans ces véhicules, notamment dans le coffre
ˆ Les véhicules concernés peuvent être des domiciles (caravanes, mobil-home, couchettes des routiers, péniches...).
ˆ Aucune disposition spécifique n’est prévue (à l’inverse de ce qui existe en matière de perquisition) pour les véhicules des médecins, avocats, journalistes...
ˆ Les "garanties judiciaires" annoncées sont insuffisantes, au regard à la fois du statut juridique actuel des magistrats du parquet (non indépendants) et de l’expérience actuelle des contrôles d’identité (préparés par les services de police ou de gendarmerie et signés, sans contrôle, par les parquets). En l’état de notre droit, c’est la première fois (depuis la suppression, dans les années 70, du mandat de dépôt provisoire décerné par le parquet) que l’on donne aux magistrats du ministère public des pouvoirs attentatoires aux libertés individuelles, ce qui va à l’encontre de toute l’évolution de notre législation, notamment la création du juge des libertés et de la détention. En pratique, ce sont des pouvoirs qui sont donnés directement aux services de police ou de gendarmerie, sans contrôle judiciaire effectif.

2) Les nouveaux pouvoirs donnés aux agents privés de surveillance ou de gardiennage Parce qu’ils sont vigiles, et uniquement pour cela, sans modification du Code de procédure pénale, ils auront désormais le pouvoir de procéder à des fouilles de bagages à main ( sac à main, mallettes, sacoches, valises...), en tout lieu (public ou non) et en tout temps (de jour comme de nuit), sans habilitation ou autorisation préalable du procureur de la république ou du préfet, et sans ordre, ni même présence à leurs côtés d’un policier ou d’un gendarme. Demain, les vigiles, qui disposeront donc désormais de pouvoirs équivalents, voire supérieurs à ceux des policiers ou des gendarmes, pourront fouiller tout sac, accéder donc aux documents, notamment d’identité, qu’ils contiennent, dans les lieux publics mais aussi à l’entrée des hôtels, foyers d’hébergement, cités universitaires, entreprises, HLM ou résidences collectives. Demain, pour pouvoir donc rentrer chez eux, à leur domicile, les citoyens devront se soumettre parfois à des fouilles approfondies. Si, en plus, le préfet l’autorise, ils pourront aussi faire l’objet de "palpations de sécurité", toujours par les mêmes vigiles, alors même que la "fouille à corps" est assimilée par la Cour de cassation à une perquisition judiciaire. Dans les zones portuaires ou aéroportuaires, ces mêmes vigiles, hors la présence de tout agent ou officier de police judiciaire, et hors toute réquisition du parquet, pourront non seulement fouiller les bagages et les personnes, mais aussi les véhicules et les colis postaux ! Certes, pour les seules zones portuaires, les locaux syndicaux ou à usage d’habitation sont exclus de ces mesures : il ne doit pas y avoir de locaux syndicaux, d’hôtels... ou de zones de rétention d’étrangers dans les aéroports ! L’État de droit est ainsi démembré, les fonctions régaliennes de l’État sont bradées, offertes à des personnes privées. C’est contraire à notre Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme.

3) Le contrôle de la correspondance téléphonique et électronique Les citoyens fouillés, palpés, dont les véhicules seront visités, filmés et fichés (cf. le développement de la vidéo-surveillance et des fichiers...) garderont-ils au moins un espace de vie privée une fois chez eux, s’ils parviennent à accéder à leur domicile ? Non, puisqu’il est aussi prévu que la liste de toutes leurs communications téléphoniques et électroniques (internet) seront gardées en mémoire pendant un an. La CNIL, dans sa modérée mais grande sagesse, trouvait déjà que trois mois étaient un maximum... EN CONCLUSION (provisoire)... De telles mesures (et l’exposé susvisé ne porte qu’à peine sur la moitié des 13 amendements proposés...) seront-elles au moins efficaces pour lutter contre le terrorisme ? Nous ne le croyons pas et d’autres qui sont intervenus à cette conférence de presse nous ont confortés en ce sens (…)

LORAN U


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