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Réseaux de solidarité urbaine : Faîtes la passe, pas l’impasse
Dans le no man’s land qui
s’élargit entre d’une part les structures politiques et
de l’autre les cercles affinitaires ou foyers, poussent comme
de sombres champignons des réseaux de solidarité
urbaine (RéSU). Certains sont informels, fugitifs,
d’autres se structurent avec le temps. La misère et la
précarisation les rendent nécessaires, y
apportent-ils une réponse ? Cet article ne fait pas
l’apologie de la misère, nous la combattons par ailleurs
au sein de collectifs (logements, transports, revenus pour
toutes et tous), mais de tels réseaux font aussi prendre
conscience de la folie collective dans laquelle nous embarque
la société de consommation D’autre part,
il s’agit de voir en quoi de tels réseaux peuvent
créer de nouvelles solidarités qui nourrissent
par la suite les luttes sociales.
Cet
article se base sur des expériences collectives.
Le modèle urbain peut être
transféré à un petit village etc.
mais lorsque les distances sont plus grandes les
échanges se transforment ; ce texte part du
principe que les personnes parties prenantes du
réseau de solidarité urbain (RéSU)
n’habitent pas loin les un-e-s des autres.
Et le commun devint
extraordinaire
Si on les replace dans une
Histoire, ou plutôt notre histoire, ce type de
réseau a de quoi faire sourire. De tous temps,
les communautés humaines ont
échangé des coups de mains sans crier sur
les toits à la solidarité, mais en le
faisant, tout simplement. Aujourd’hui, tout semble
moins évident, la
société dans laquelle nos
corps vivent, pour faire simple, défavorisent
des constructions collectives : les lieux collectifs
s’atomisent ou deviennent marchands, l’argent devenant
médian dans les échanges ; l’individu
n’inscrit plus sa vie dans une entreprise prête
à le virer à la moindre
défaillance, il n’y a plus d’instance
régulatrice comme le Patrie, l’Eglise,
l’Armée, etc. et tout ceci n’est pas
forcément un mal, peut-être un chaos
nécessaire pour que d’autres entités
collectives non instituantes s’élaborent.
Les loisirs eux-mêmes se
modifient : les sports collectifs sont gangrenés
par l’individualisme à outrance, l’appât
du gain (voire ce qu’est devenu le rugby en moins de
dix ans, en se professionnalisant). A ce
type de sport d’ailleurs est bien souvent
préféré l’abonnement à une
salle de gym, seul-e devant sa
machine. Comme les Histoires,
c’est souvent compliqué, des communautés
renaissent grâce à ces mêmes
machines : par exemple l’usage d’Internet a
renouvelé des courants culturels et politiques :
l’on pense au prime abord aux altermondialistes et
libertaires, mais c’est aussi le cas de
communautés subculturelles comme les ravers, les
gothiques
A l’émergence de ce nouvel
individualisme dans les années 80 a
succédé une casse sans
précédente des droits sociaux. La plupart
des personnes connaîtront désormais, au
long de leur vie des périodes de disettes, de
pauvreté Et c’est là où
l’on reparle de réseau de solidarité
urbaine.
Spécificités
Le RéSU est une
étape au-dessus des échanges formels ou
informels au sein d’une bande, d’un groupe affinitaire.
Voilà en quoi ils se
différencient :
Ê le nombre : un
RéSU peut regrouper une vingtaine de personnes,
voire plus ;
Ê l’inconnu : tous les membres du RéSU ne se
connaissent pas entre eux. Ils ne sont pas
forcément proches ou tout du moins ils ne sont
pas forcés de l’être ;
Ê la fréquence : les échanges sont nombreux et
fréquents au moins pour les noyaux du
RéSU ; après il fonctionne en
pelure d’oignon avec des personnes qui
s’investissent beaucoup ou peu, quand elles veulent, et
surtout selon leurs souhaits ou possibilités.
Ê Le pluralisme socio-culturel : contrairement aux
solidarités communautaires d’antan, le
RéSU n’est pas ancré dans une profession,
un lieu fixe comme un quartier ou un village. Un cadre
à la recherche d’être humains peut croiser
une RMIste à la main verte, qui côtoiera
une étudiante qui lui-même se verra
proposer par un mécano ayant quitté
l’école à 16 ans, de sortir de ses
livres, etc. Cet espace est un lieu d’échanges,
on s’en fout de savoir d’où les gens viennent,
on veut juste définir où l’on veut aller
ensemble. La liberté c’est, parfois, la
capacité à oublier et se faire
oublier
Le RéSU pourrait
être un SEL, finalement. Il s’en
différencie par un point principal : l’absence
de lieu collectif ouvert à toutes tous.
Tout se passe entre les foyers des personnes, si elles
en ont un. Cette différence n’est pas minime car
elle conditionne la façon dont s’agrègent
les individu-e-s. Le RéSU peut être aussi
qualifié de SEL sans domicile fixe.
Le manque de local n’est pas un choix, mais souvent une
question de possibilité (pas de salle municipale
dispo pour ça) ou de coûts.
Ce type de réseau est
d’abord une
nécessité : face
à la précarisation croissante un certain
nombre de personnes préfèrent socialiser
une partie de leur existence que de souffrir la
misère seul-e dans un unique foyer.
Au-delà des personnes fauchées ils
regroupent aussi des personnes qui ont besoin de liens
sociaux qui ne soient pas intéressés ou
utilitaristes. Plus largement il ne s’agit
pas seulement, et loin de là, d’un réseau
de survie ; pour reprendre un slogan qu’on aime bien
à No Pasaran, il s’agit d’avoir une vie riche,
et non pas de riches
Des échanges et
de la récup’ de
qualité
Un RéSU permet de mettre
en pratique des activités qui vont dans le sens
d’une décroissance globale en pratiquant la
simplicité volontaire (voir partie 1 du dossier,
NP 33). Autant les personnes sont à la base,
pour la plupart, obligées de moins consommer par
manque de revenus, autant les alternatives mises en
place au manque de revenus permettent de se rendre
compte à quel point nous sommes, bien
malgré nous, aliénés par la
publicité et la société de
consommation en générale.
C’est simple, lorsqu’il manque
quelque chose, si on en a les moyens on
l’achète. On ne le demande pas (souvent) au
voisin, on ne bricole pas on n’attend pas. On
court au supermarché du coin. La consommation
permet donc de gagner du temps. La plupart des achats
se font par impulsion, consommer pour certain-e-s c’est
se renouveler, suivre son temps.
Toujours suivre, ou essayer
d’être devant, un temps, au lieu de créer
ses propres espaces de vie avec ses propres
activités et valeurs.
Quelles activités de
récupération et d’échanges peut
permettre un RéSU ? Au niveau de la
récupération :
Ê La récup dans les déchetteries.
Contrairement aux puces et
vides greniers, la récup dans les
déchetteries c’est gratos. Les personnes peuvent
s’organiser, s’alterner pour fouiller, avec l’accord
des salarié-e-s de la déchet’. Cette
récup’ est fortement dévalorisée
car on touche à une représentation
sociale, un imaginaire devenu réel de la
pauvreté : c’est un peu faire les poubelles et
ça se fait pas, quoi... Pourtant, dans les
déchetteries on peut trouver beaucoup de matos :
des meubles, des matériaux voire un vélo,
des instruments de musique presque neufs etc.
Contrairement aux idées reçues les
déchetteries ne sont pas vraiment de sales
poubelles. A cause de la misère, d’un
déménagement impromptu, d’un
décès, les personnes jettent pour se
débarrasser et pas se prendre la
tête à
donner. A part les frigos et bien souvent
les vêtements (qui sont une question de dignité
pour les pauvres, ce qui se comprend), on peut vraiment
récupérer de tout. Un RéSU permet
de s’organiser, dans celui de ma localité, on fait par
exemple des listes de course et une ou deux personnes vont
chiner. Au final, une table avec un coup de verni ou deux ou
trois clous en plus ressemblent à une neuve etc. Nous
avons fait déjà un test : qu’un invité
vienne et devine ce qui a été
récupérer dans une déchet’ ou
acheté, et c’est pas évident, même sans
être un génie du bricolage...
Ê Faire
le tour des services publics de sa ville : attention m’sieurs dames on tombe dans le luxe
! Les services publics jettent beaucoup et du presque neuf !
Ils ne donneraient pas, non, ils jettent. Exemples
précis : un hôpital peut jeter une trentaine de
fauteuil de confort parce que le rose saumon est passé
de modes, les ordinateurs passés de mode remplissent les
poubelles, etc. Comment faire ? il suffit de faire le tour, de
temps à autres, et de demander Les entreprises
permettent de moins en moins la récup mais vous
êtes pas obligé-e-s de demander (profitez des
offres BTP !)
Ê Les
échanges : un cahier
avec une partie offre et une partie
demande permet de créer un marché
à visage humain Cela marche autant que le
RéSU fonctionne par ailleurs
Autres activités solidaires
Caisse de solidarité / tontines : un groupe d’individus met une somme fixe par
mois puis au bout par exemple de trois mois une personne
récupère l’argent, puis on recommence pour une
autre personne (les durées de cotis sont à varier
selon les besoins). Quel intérêt ?
Un exemple : Nous sommes 10, nous
mettons 20 euros chacun, au bout de trois mois Jean-Paul touche
10 X 20 X 3 = 600 euros. Hors lorsqu’on est fauché une
éventuelle dépense à 600 euros (4000 F)
est souvent difficile Bref cela fonctionne comme une
sorte de banque solidaire. Les sommes peuvent être plus
importantes, la tournée entre personne plus rapide etc.
Cela marche à la seule condition que bien
évidemment les personnes soient honnêtes entre
elles : on y revient plus bas.
La garde collective d’enfants : no comment : cela fait gagner un argent
fou en nourrice etc.
La bouffe collective : bouffer plusieurs fois par semaine ensemble :
plus de convivialité, de temps pour d’autres
activités, etc. Evidemment, il faut tourner entre celles
et ceux qui font la cuisine.
L’écoute, l’entraide quotidienne : toute une somme d’actes quotidiens ou
hebdomadaires pour se soutenir les uns les autres.
L’administration, le droit : remplissage collectif de dossier,
déplacement en commun dans des administrations, etc.
Là aussi ça fait gagner un temps fou, pour plus
de luttes sociales ou de temps personnel.
L’autodéfense sociale : un niveau politique au dessus du
remplissage de dossiers : il s’agit de défendre un
dossier devant l’administration, en rendant lisible cette
intervention (speach aux usager-e-s, tract) et en la
reliant avec des problématiques politiques (contre le
RMA,
etc.)
L’exceptionnel ordinaire : sorties en commun,
déménagement, prêts de voitures,
une kyrielle d’autres possibilités existent.
Les RéSU permettent de se
libérer des taches techniques ou
d’accélérer leur mise en
uvre
Pour un réseau ouvert :
la problématique
de la cooptation
La frontière est parfois
étroite entre une bande, et un réseau de
solidarité urbaine. La différence se fait
dans la capacité à dépasser le
tout affinitaire, à se donner un
minimum de règles collectives,
nécessaires lorsque le nombre
d’impliqué-e-s dépasse 10 personnes, et
aussi dans la capacité à accueillir des
personnes avec qui nous ne sommes pas lié-e-s :
les amis des amis des amis, la voisin-e taciturne, le
type un peu relou du quartier, etc.
Le-bouche-à-oreille est souvent bien meilleur
que toute forme de propagande active et l’on peut se
retrouver rapidement avec une vingtaine, trentaine de
personnes dans le RéSU. Se pose alors le
problème des règles communes. Que faire
par exemple avec quelqu’un qui devient violent
dès qu’il a bu trois bières ? Ou une
personne sexiste ? Pas évident car ces deux
types d’attitudes peuvent cristalliser des conflits,
tourner rapidement en eau de boudin.
Un principe de
préalable à
l’adhésion, même si celle-ci est
très souvent informelle, ne peut guère
être évité. Chacun tel qu’il est
peut être accepter par contre
il doit respecter les autres.
Pour ma part, et au fur et à mesure que je
vieillis, je suis passé d’une attitude 100%
no border : tout le monde est bienvenu,
à des discussions avec les nouvelles personnes
pour qu’on s’entende puis à l’écriture
collective de ces règles, leur connaissance par
toutes et tous. Surtout après de
précédents échecs :
problèmes de violences (coups et blessures), de
vols (des centaines d’euros) etc.
Ca, c’est sur le papier
Sinon c’est forcément plus souple : si une
personne pète les plombs pas question de la
laisser tomber, sauf si rien n’est possible à
faire, etc.
Et plus encore
D’une débrouille
collective, le RéSU peut se transformer en autre
chose assez rapidement : une communauté humaine
ouverte où les personnes investissent de leur
temps, de leur vie, sans y mettre non plus toute leur
vie. Si l’affinitaire booste les RéSU, nous
évitons pour autant le tout-affinitaire :
c’est-à-dire de tout se dire, tout partager,
etc. afin qu’en cas de problème les personnes ne
se sentent pas lésées (jusqu’ici ce
problème n’est pas apparu).
Le RéSU peut et doit
déboucher sur les luttes sociales, s’ouvrir.
Malheureusement, et c’est là les limites de ce
type d’expérience, il faut être franc :
cela n’a rien d’automatique. Très loin de
là. Ce type d’expérience attire
rapidement beaucoup de personnes, qui restent
généralement (dans le nôtre :
zéro départ, zéro conflit en un an
d’existence !) par contre cela ne mue pas
forcément en quelque chose de plus
politisé. On en parle entre nous, parfois
difficilement d’ailleurs, mais la plupart des personnes
cherchent plutôt la convivialité, le
réconfort, les débrouilles et n’ont pas
envie forcément de s’ouvrir vers autre chose.
N’ont pas envie de se battre : pour qui ? pourquoi ? La
route est longue, même si on a le moral.
Cela se fait pourtant, petit
à petit, notamment par le biais de
l’autodéfense sociale, de rencontres avec
d’autres militant-e-s, etc.
Daeva
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