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AccueilJournalNuméros parus en 2004N°34 - Novembre 2004 > Réseaux de solidarité urbaine : Faîtes la passe, pas l’impasse

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Réseaux de solidarité urbaine : Faîtes la passe, pas l’impasse



Dans le no man’s land qui s’élargit entre d’une part les structures politiques et de l’autre les cercles affinitaires ou foyers, poussent comme de sombres champignons des réseaux de solidarité urbaine (RéSU). Certains sont informels, fugitifs, d’autres se structurent avec le temps. La misère et la précarisation les rendent nécessaires, y apportent-ils une réponse ? Cet article ne fait pas l’apologie de la misère, nous la combattons par ailleurs au sein de collectifs (logements, transports, revenus pour toutes et tous), mais de tels réseaux font aussi prendre conscience de la folie collective dans laquelle nous embarque la société de consommation D’autre part, il s’agit de voir en quoi de tels réseaux peuvent créer de nouvelles solidarités qui nourrissent par la suite les luttes sociales.
Cet article se base sur des expériences collectives. Le modèle urbain peut être transféré à un petit village etc. mais lorsque les distances sont plus grandes les échanges se transforment ; ce texte part du principe que les personnes parties prenantes du réseau de solidarité urbain (RéSU) n’habitent pas loin les un-e-s des autres.

Et le commun devint
extraordinaire

Si on les replace dans une Histoire, ou plutôt notre histoire, ce type de réseau a de quoi faire sourire. De tous temps, les communautés humaines ont échangé des coups de mains sans crier sur les toits à la solidarité, mais en le faisant, tout simplement. Aujourd’hui, tout semble moins évident, la société dans laquelle nos corps vivent, pour faire simple, défavorisent des constructions collectives : les lieux collectifs s’atomisent ou deviennent marchands, l’argent devenant médian dans les échanges ; l’individu n’inscrit plus sa vie dans une entreprise prête à le virer à la moindre défaillance, il n’y a plus d’instance régulatrice comme le Patrie, l’Eglise, l’Armée, etc. et tout ceci n’est pas forcément un mal, peut-être un chaos nécessaire pour que d’autres entités collectives non instituantes s’élaborent.
Les loisirs eux-mêmes se modifient : les sports collectifs sont gangrenés par l’individualisme à outrance, l’appât du gain (voire ce qu’est devenu le rugby en moins de dix ans, en se professionnalisant). A ce type de sport d’ailleurs est bien souvent préféré l’abonnement à une salle de gym, seul-e devant sa
machine. Comme les Histoires, c’est souvent compliqué, des communautés renaissent grâce à ces mêmes machines : par exemple l’usage d’Internet a renouvelé des courants culturels et politiques : l’on pense au prime abord aux altermondialistes et libertaires, mais c’est aussi le cas de communautés subculturelles comme les ravers, les gothiques
A l’émergence de ce nouvel individualisme dans les années 80 a succédé une casse sans précédente des droits sociaux. La plupart des personnes connaîtront désormais, au long de leur vie des périodes de disettes, de pauvreté Et c’est là où l’on reparle de réseau de solidarité urbaine.

Spécificités

Le RéSU est une étape au-dessus des échanges formels ou informels au sein d’une bande, d’un groupe affinitaire.
Voilà en quoi ils se différencient :
Ê le nombre  : un RéSU peut regrouper une vingtaine de personnes, voire plus ;
Ê l’inconnu : tous les membres du RéSU ne se connaissent pas entre eux. Ils ne sont pas forcément proches ou tout du moins ils ne sont pas forcés de l’être ;
Ê la fréquence : les échanges sont nombreux et fréquents au moins pour les noyaux du RéSU ; après il fonctionne en pelure d’oignon avec des personnes qui s’investissent beaucoup ou peu, quand elles veulent, et surtout selon leurs souhaits ou possibilités.
Ê Le pluralisme socio-culturel : contrairement aux solidarités communautaires d’antan, le RéSU n’est pas ancré dans une profession, un lieu fixe comme un quartier ou un village. Un cadre à la recherche d’être humains peut croiser une RMIste à la main verte, qui côtoiera une étudiante qui lui-même se verra proposer par un mécano ayant quitté l’école à 16 ans, de sortir de ses livres, etc. Cet espace est un lieu d’échanges, on s’en fout de savoir d’où les gens viennent, on veut juste définir où l’on veut aller ensemble. La liberté c’est, parfois, la capacité à oublier et se faire oublier
Le RéSU pourrait être un SEL, finalement. Il s’en différencie par un point principal : l’absence de lieu collectif ouvert à toutes tous. Tout se passe entre les foyers des personnes, si elles en ont un. Cette différence n’est pas minime car elle conditionne la façon dont s’agrègent les individu-e-s. Le RéSU peut être aussi qualifié de SEL sans domicile fixe. Le manque de local n’est pas un choix, mais souvent une question de possibilité (pas de salle municipale dispo pour ça) ou de coûts.
Ce type de réseau est d’abord une
nécessité : face à la précarisation croissante un certain nombre de personnes préfèrent socialiser une partie de leur existence que de souffrir la misère seul-e dans un unique foyer. Au-delà des personnes fauchées ils regroupent aussi des personnes qui ont besoin de liens sociaux qui ne soient pas intéressés ou utilitaristes. Plus largement il ne s’agit pas seulement, et loin de là, d’un réseau de survie ; pour reprendre un slogan qu’on aime bien à No Pasaran, il s’agit d’avoir une vie riche, et non pas de riches

Des échanges et
de la récup’ de qualité

Un RéSU permet de mettre en pratique des activités qui vont dans le sens d’une décroissance globale en pratiquant la simplicité volontaire (voir partie 1 du dossier, NP 33). Autant les personnes sont à la base, pour la plupart, obligées de moins consommer par manque de revenus, autant les alternatives mises en place au manque de revenus permettent de se rendre compte à quel point nous sommes, bien malgré nous, aliénés par la publicité et la société de consommation en générale.
C’est simple, lorsqu’il manque quelque chose, si on en a les moyens on l’achète. On ne le demande pas (souvent) au voisin, on ne bricole pas on n’attend pas. On court au supermarché du coin. La consommation permet donc de gagner du temps. La plupart des achats se font par impulsion, consommer pour certain-e-s c’est se renouveler, suivre son temps.
Toujours suivre, ou essayer d’être devant, un temps, au lieu de créer ses propres espaces de vie avec ses propres activités et valeurs.
Quelles activités de récupération et d’échanges peut permettre un RéSU ? Au niveau de la récupération :
Ê La récup dans les déchetteries. Contrairement aux puces et vides greniers, la récup dans les déchetteries c’est gratos. Les personnes peuvent s’organiser, s’alterner pour fouiller, avec l’accord des salarié-e-s de la déchet’. Cette récup’ est fortement dévalorisée car on touche à une représentation sociale, un imaginaire devenu réel de la pauvreté : c’est un peu faire les poubelles et ça se fait pas, quoi... Pourtant, dans les déchetteries on peut trouver beaucoup de matos : des meubles, des matériaux voire un vélo, des instruments de musique presque neufs etc. Contrairement aux idées reçues les déchetteries ne sont pas vraiment de sales poubelles. A cause de la misère, d’un déménagement impromptu, d’un décès, les personnes jettent pour se débarrasser et pas se prendre la tête à
Anarchy vaincra.jpg
donner. A part les frigos et bien souvent les vêtements (qui sont une question de dignité pour les pauvres, ce qui se comprend), on peut vraiment récupérer de tout. Un RéSU permet de s’organiser, dans celui de ma localité, on fait par exemple des listes de course et une ou deux personnes vont chiner. Au final, une table avec un coup de verni ou deux ou trois clous en plus ressemblent à une neuve etc. Nous avons fait déjà un test : qu’un invité vienne et devine ce qui a été récupérer dans une déchet’ ou acheté, et c’est pas évident, même sans être un génie du bricolage...
Ê Faire le tour des services publics de sa ville : attention m’sieurs dames on tombe dans le luxe  ! Les services publics jettent beaucoup et du presque neuf ! Ils ne donneraient pas, non, ils jettent. Exemples précis : un hôpital peut jeter une trentaine de fauteuil de confort parce que le rose saumon est passé de modes, les ordinateurs passés de mode remplissent les poubelles, etc. Comment faire ? il suffit de faire le tour, de temps à autres, et de demander Les entreprises permettent de moins en moins la récup mais vous êtes pas obligé-e-s de demander (profitez des offres BTP !)
Ê Les échanges : un cahier avec une partie offre et une partie demande permet de créer un marché à visage humain Cela marche autant que le RéSU fonctionne par ailleurs

Autres activités solidaires

Caisse de solidarité / tontines  : un groupe d’individus met une somme fixe par mois puis au bout par exemple de trois mois une personne récupère l’argent, puis on recommence pour une autre personne (les durées de cotis sont à varier selon les besoins). Quel intérêt ?
Un exemple : Nous sommes 10, nous mettons 20 euros chacun, au bout de trois mois Jean-Paul touche 10 X 20 X 3 = 600 euros. Hors lorsqu’on est fauché une éventuelle dépense à 600 euros (4000 F) est souvent difficile Bref cela fonctionne comme une sorte de banque solidaire. Les sommes peuvent être plus importantes, la tournée entre personne plus rapide etc. Cela marche à la seule condition que bien évidemment les personnes soient honnêtes entre elles : on y revient plus bas.
La garde collective d’enfants : no comment : cela fait gagner un argent fou en nourrice etc.
La bouffe collective : bouffer plusieurs fois par semaine ensemble : plus de convivialité, de temps pour d’autres activités, etc. Evidemment, il faut tourner entre celles et ceux qui font la cuisine.
L’écoute, l’entraide quotidienne : toute une somme d’actes quotidiens ou hebdomadaires pour se soutenir les uns les autres.
L’administration, le droit : remplissage collectif de dossier, déplacement en commun dans des administrations, etc. Là aussi ça fait gagner un temps fou, pour plus de luttes sociales ou de temps personnel.
L’autodéfense sociale : un niveau politique au dessus du remplissage de dossiers : il s’agit de défendre un dossier devant l’administration, en rendant lisible cette intervention (speach aux usager-e-s, tract) et en la reliant avec des problématiques politiques (contre le RMA,
dessin dossier
etc.)
L’exceptionnel ordinaire : sorties en commun, déménagement, prêts de voitures, une kyrielle d’autres possibilités existent.
Les RéSU permettent de se libérer des taches techniques ou d’accélérer leur mise en uvre

Pour un réseau ouvert :
la problématique
de la cooptation

La frontière est parfois étroite entre une bande, et un réseau de solidarité urbaine. La différence se fait dans la capacité à dépasser le tout affinitaire, à se donner un minimum de règles collectives, nécessaires lorsque le nombre d’impliqué-e-s dépasse 10 personnes, et aussi dans la capacité à accueillir des personnes avec qui nous ne sommes pas lié-e-s : les amis des amis des amis, la voisin-e taciturne, le type un peu relou du quartier, etc. Le-bouche-à-oreille est souvent bien meilleur que toute forme de propagande active et l’on peut se retrouver rapidement avec une vingtaine, trentaine de personnes dans le RéSU. Se pose alors le problème des règles communes. Que faire par exemple avec quelqu’un qui devient violent dès qu’il a bu trois bières ? Ou une personne sexiste ? Pas évident car ces deux types d’attitudes peuvent cristalliser des conflits, tourner rapidement en eau de boudin.
Un principe de préalable à l’adhésion, même si celle-ci est très souvent informelle, ne peut guère être évité. Chacun tel qu’il est peut être accepter par contre
il doit respecter les autres. Pour ma part, et au fur et à mesure que je vieillis, je suis passé d’une attitude 100% no border : tout le monde est bienvenu, à des discussions avec les nouvelles personnes pour qu’on s’entende puis à l’écriture collective de ces règles, leur connaissance par toutes et tous. Surtout après de précédents échecs : problèmes de violences (coups et blessures), de vols (des centaines d’euros) etc.
Ca, c’est sur le papier Sinon c’est forcément plus souple : si une personne pète les plombs pas question de la laisser tomber, sauf si rien n’est possible à faire, etc.

Et plus encore

D’une débrouille collective, le RéSU peut se transformer en autre chose assez rapidement : une communauté humaine ouverte où les personnes investissent de leur temps, de leur vie, sans y mettre non plus toute leur vie. Si l’affinitaire booste les RéSU, nous évitons pour autant le tout-affinitaire : c’est-à-dire de tout se dire, tout partager, etc. afin qu’en cas de problème les personnes ne se sentent pas lésées (jusqu’ici ce problème n’est pas apparu).
Le RéSU peut et doit déboucher sur les luttes sociales, s’ouvrir. Malheureusement, et c’est là les limites de ce type d’expérience, il faut être franc : cela n’a rien d’automatique. Très loin de là. Ce type d’expérience attire rapidement beaucoup de personnes, qui restent généralement (dans le nôtre : zéro départ, zéro conflit en un an d’existence !) par contre cela ne mue pas forcément en quelque chose de plus politisé. On en parle entre nous, parfois difficilement d’ailleurs, mais la plupart des personnes cherchent plutôt la convivialité, le réconfort, les débrouilles et n’ont pas envie forcément de s’ouvrir vers autre chose. N’ont pas envie de se battre : pour qui ? pourquoi ? La route est longue, même si on a le moral.
Cela se fait pourtant, petit à petit, notamment par le biais de l’autodéfense sociale, de rencontres avec d’autres militant-e-s, etc.
Daeva


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